Top

La Sierra Nevada est un monument. Un monument de granite, enfermant des joyaux comme des vallées extraordinaires (Yosemite, Kings Canyon, Mineral Kings), des lacs si beaux qu’on s’y oublie des jours entiers, des forêts d’un autre temps (Sequoia Park, Bristlecone) … un monument, dédié complètement à la nature et la vie sauvage puisque quasiment aucune route ne traverse la Sierra. Le massif, écrin de roche, est solidement campé entre les courants froids de l’Océan Pacifique et la fournaise de la Vallée de la Mort. Et pour régner sur tout cela, une montagne plus haute que toutes les autres dans cette Amérique : le mont Whitney.

Le mont Whitney est le plus haut sommet des États-Unis, avec 4421m. Si son flanc ouest est en pente douce, il présente à l’Est des murailles de pierre qui paraissent infranchissables.

Vue des collines d’Alabama (c’est leur nom, pas l’État), la Sierra porte bien son nom puisqu’elle est encore enneigée. Et le blizzard d’hier en a redéposé une bonne couche… C’est là, près de Big Pine, petite bourgade au pied de la Sierra, que je me rends pour demander un permis d’ascension, obligatoire pour le mont Whitney. Ils me proposent le passe multi-days mais je leur explique que le 1-day-hike me suffira, je compte faire l’aller-retour dans la journée. L’été, c’est possible, me disent-ils, mais l’hiver, il faut alors passer par la voie alpine (mountaineer’s route) plus courte. Cela ne m’enchante guère, car si cette route n’est pas particulièrement technique (niveaux 3 pour les passages les plus durs), en hiver la glissade ne pardonne pas et il y a des morts tous les ans. Non, je préfère emprunter la voie classique, beaucoup plus longue (35km aller-retour).

Alors, me dit le guide, il faut être very very fast.. Bon, pas rassurant. Je prends mon permis, donne mon numéro d’immat, et rentre préparer mes affaires pour le lendemain.

Je pars à 3h30 du matin, histoire d’avoir de la marge pour rentrer avant la nuit. Le départ se fait de Whitney Portal, le soleil n’est pas encore levé. Il ne pointera le bout de son nez qu’aux abords d’Outpost Camp, 700m plus haut et 2h plus tard. Je mets ma musique en route, spéciale Sierra Nevada… D’ailleurs, quand je l’écoute chez moi, si je ferme les yeux je me retrouve au beau milieu de la Sierra…

[audio:http://www.runtheplanet.fr/wp-content/uploads/2011/06/Time.mp3|titles=Time|artists=Hans Zimmer|loop=no]

A partir de là, ma vitesse ascensionnelle diminue. Pour plusieurs raisons. D’abord, il y a nettement moins de traces dans la neige, les promeneurs s’arrêtent à Outpost Camp apparemment, et le chemin devient plus dur à suivre, pour finir à l’estime. Ensuite, l’altitude augmentant, l’effort devient plus difficile (on est déjà à près de 3200m). Mais surtout, le soleil caressant la pierre de la Sierra Nevada, le spectacle devient vite prenant et au lieu d’avancer je m’en mets plein les mirettes…

Tandis que le Pic de Thor, souverain, 400m plus haut, est baigné de sa lumière matinale,

le petit randonneur que je suis peine encore dans l’ombre du mont Irvine.

Le Pic de Thor, comme beaucoup de sommets par ici, a l’air de tomber en morceaux tandis qu’il se hisse vers le ciel.

L’impression sera plus forte encore lorsque je serai sur le Keeler Needle. On dirait que la montagne pousse plus vite qu’elle ne se désagrège, comme si la roche n’avait pas le temps de se solidifier, qu’elle s’effrite sitôt hors de terre. En réalité, la roche s’est solidifiée au Crétacé, et c’est l’érosion glaciaire des derniers millions d’années qui a dépouillé les couches supérieures de roche pour dévoiler le granit résistant qui constitue les grandes montagnes comme Thor ou Whitney. Les montagnes sont purement et simplement épluchées par la glace, l’eau, et le vent.

Car en effet, le vent souffle. Et soulève des bourrasques de neige.

D’ailleurs ça m’inquiète un peu car d’ici une heure ou deux j’arriverai au pied de la difficulté principale, une pente glacée de 50 degrés, et j’aimerais éviter qu’une bourrasque soudaine me fasse décrocher de la paroi et m’envoie glisser 300m plus bas.

Je suis au bord de Consultation Lake. Encore enveloppé de sa gangue glacée. Cet été, on s’y baignera… pour l’heure, c’est patin à glace.

Puis, vers 3600m, c’est le Trail Camp. Des randonneurs y ont d’ailleurs passé la nuit, faisant le sommet en 2 jours.

Devant moi, 600m plus haut, comme des dents de granit, le fameux Keeler Needle.

Je vais devoir monter sur cette crête, côté gauche, et la suivre de bout en bout, sur le dos du Needle, jusqu’à l’autre extrémité : le mont Whitney proprement dit, que l’on aperçoit sur la photo ci-dessous, en arrière-plan.

Voilà, je suis dans cette fameuse pente à 50 degrés. En bas, près du Trail Camp, un petit sommet appelé Trône de Wotans. La pente est sévère, surtout qu’on s’approche des 4000m à présent. Parfois la glace est compacte, et il faut bien planter crampons et piolet pour ne pas dévisser. Comme le soleil est assez haut dans le ciel, il commence à chauffer la glace qui se transforme rapidement. Je me hâte car si elle se transforme en neige lourde, je vais m’enfoncer et tout deviendra subitement plus difficile.

Lorsque j’arrive en haut, près de Discovery Pinnacle et le chemin de crête, je remarque deux alpinistes en bas de la pente que je viens de gravir en environ 1h, qui m’observent d’en bas et suivent visiblement mes traces (les seules). J’arrive au col, enfin. Mon regard bascule de l’autre côté, vers l’ouest, et la Sierra Nevada. Le mont Hitchcock se dresse juste devant moi (mais plus bas que moi, hé hé),

puis la vallée s’enfonce vers Sequoia Park, emmenant le John Muir Trail avec elle, en direction des prairies de Crabtree Meadow.

De mon côté, la course n’est pas terminée. Il me reste environ 5km à parcourir sur le dos du mont Muir et de Keeler Needle, chaos granitique, à 4200m d’altitude.

Le sentier n’est pas très facile ; parfois le vide n’est pas loin et la glace recouvre les rochers, rendant leur franchissement dangereux. Le vent, plus fort de ce côté-là de la montagne, rend les choses encore plus difficiles. Je remets donc mes crampons pour ne pas risquer la chute, mais les griffes de métal, si elles mordent bien la glace, ne tiennent pas en revanche sur la roche… Il faut donc composer…

Le Keeler Needle, comme je disais plus haut, s’est fait proprement éplucher aussi. Il y a des blocs éparpillés partout.

On se rappelle de la verticalité des parois côté est.

Côté ouest, ça donne plutôt ça :

Et la plupart des montagnes de la Sierra sont comme ça. Raides à l’est, douces à l’ouest. La Sierra est un massif soulevé d’un côté, par une faille normale, et ancré de l’autre comme une charnière…

Le tout est de ne pas s’y coincer les doigts.

Un bloc bascule, et c’est une chute de 400m au bas du Keeler. Je distingue les deux alpinistes qui n’ont pas beaucoup avancé depuis tout à l’heure.

Je continue mon petit bonhomme de chemin, me hissant lentement de 4200 vers 4400m le long d’un sentier qui finira par se perdre sous la neige. Je finirai à l’estime.

D’ailleurs il est difficile de se tromper, le sommet est bien visible.

Tandis que le sommet s’arrondit de plus en plus, je distingue bientôt la fin de mon voyage : la petite maison en pierre qui coiffe le sommet du mont Whitney.

C’est un abri, construit en 1909 pour s’y réfugier en cas d’orage car la foudre tombe ici très fréquemment et sans prévenir, des panneaux avertissent partout du risque, le danger est important. On l’appelle Mount Whitney Smithsonian Institution Shelter car c’est la Smithsonian Institution qui l’a utilisé dès 1909 pour conduire des observations spectroscopiques de la planète Mars, puis des études sur les phénomènes en haute altitude, avant que les vols en avion ne soient possibles.

4417m. 4421m même d’après les dernières mesures. En bas, sous mes pieds, 2600m plus bas, la route qui mène à Lone Pine. On se croirait en avion tellement tout est petit.

J’ai mis 8h pour monter. Avec cette neige, ce n’est pas si mal. Je mettrai 5h pour redescendre, il est midi, je serai donc rentré bien avant la nuit ! Je croise au retour mes deux alpinistes qui sont toujours empêtrés dans la pente de glace qui s’est transformée en pente de neige profonde… Je doute qu’ils atteignent le sommet, à moins qu’ils retournent dormir sous leur tente une deuxième nuit…

Je profite des paysages rencontrés car à la montée, il faisait nuit… Pas de doute, on est bien dans la Sierra Nevada…

Le petit lac de Lone Pine, près duquel j’étais passé de nuit, sans le voir…

C’est fou comme tout est en mouvement, de jour : l’eau qui cette nuit était figée par la glace, glougloute maintenant joyeusement sous le soleil…

Me voilà en bas de la montagne. Les crêtes sont toujours éclairées par le soleil, majestueuses. On y est bien, là-haut. On voudrait presque y rester, inconsistant et léger comme l’air. Revenir en bas c’est la fin du voyage, le retour sur Terre. La gravité reprend ses droits, on se prend à sentir le sol dur sous ses pieds, les jambes fléchissent comme si notre poids s’y appliquait d’un seul coup. L’atterrissage, après un voyage dans le ciel et dans soi-même, suspendu dans l’espace et le temps…

Mais je me dis que je rentre chez moi, enfin. Et je me mets déjà à rêver au prochain voyage…

20110530_Whitney_simpl

Et bien sûr, les photos grand format en page expeditions.

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • Lafan

    6 juin 2011

    T’as essayé d’ouvrir la porte de la petite maison ?!
    Et, le permis de gravir le mont, tu dois le rendre à ton retour ? Oui, pour qu’ils tiennent les comptes…
    …de ceux qui rentrent et ceux qui seront restés…
    Les photos sont époustouflantes et la musique de la vidéo a été faite pour cette expédition…
    …..entre rêve et réalité ….

    reply...
    • Jphi

      6 juin 2011

      oui, je suis rentré, je me suis installé sur le canapé, lu quelques revues, regardé la télé, mangé quelques viennoiseries avant de repartir…
      Pour les comptes je ne pense pas qu’ils les tiennent, mais tu dois déposer le numéro de ta plaque d’immat, au cas où une bagnole resterait sur le parking…
      Merci pour ton joli commentaire !

      reply...
  • Jacky

    6 juin 2011

    Belle expé. Même l’été, il ne doit pas faire chaud sur ce chemin à cette altitude. La cabane est bien petite et quelconque, mais souvent c’est la route qui est intéressante, pas le but en soi. Ce qui est gratifiant, c’est d’y arriver.
    Et le sommet le plus haut des Etats-Unis est le Mont Mc Kinley en Alaska (plus de 6000m). Mais celui-ci, c’est une autre histoire… (pas très haut mais très difficile).

    reply...
    • Jphi

      6 juin 2011

      Le Whitney est le sommet le plus haut des « contiguous United States ». Si tu mets l’Alaska, évidemment ce n’est plus que le 12ème…
      Quant à la cabane, je doute qu’elle soit le but des grimpeurs. Elle a été équipée de paratonnerres car en 1990, 13 randonneurs s’y étaient réfugiés pendant un orage et il y a eu un mort et plusieurs blessés graves, et le gouvernement a été condamné à payer 700.000$ aux familles de victimes (!) (à l’époque seul un tuyau de poêle dépassait du toit). Aujourd’hui un panneau avertit du risque extrême de foudre et conseille plutôt de quitter le sommet ; jusqu’au jour où un randonneur se cassera la pipe en redescendant en courant et sa famille attaquera le gouvernement en justice…

      reply...
  • Tat

    7 juin 2011

    Les photos sont magnifiques et le photographe en fait stresser plus d’un .C’est vrai que la petite maison dans la prairie valait le détour . C’est beau ,c ‘est superbe et le commentaire passionnant .

    reply...
    • Jphi

      8 juin 2011

      Merci Tat, me voilà Charles Ingles maintenant…

      reply...
  • 7 juin 2011

    t’as pas peur de te retrouver face à un gros animal sauvage???????
    tes sorties sont toujours un vrai régal tant pour les photos que pour ton récit

    reply...

post a comment