Me voici de retour dans ce pays rugueux, authentique, sauvage, à couper le souffle : le Sultanat d’Oman. Dans la région du Djebel Shams, dans le Grand Canyon, sont cachés les vestiges d’un village abandonné, As Sab. Me voici sur les flancs du Djebel, bien déterminé à retrouver ce village perdu.
Pourtant, tout n’a pas été simple. Dès le début, pour une obscure histoire de paperasse à l’immigration, me voilà avec 8 heures de retard sur mon planning. Pas très grave, mais il faudra composer avec, car mon programme est serré.
Me voici donc à Ghul. J’y suis déjà passé lors de ma dernière visite.
Au-dessus du village s’étendent des murs de pierre, et des ruines qui ont l’air assez anciennes.
Je vais entrer dans le village, aujourd’hui abandonné, traverser les ruines et entreprendre l’ascension du Djebel Shams. Le village est encore bien conservé ; les falaj, toujours en état, continuent d’alimenter en eau la palmeraie.
En bas du village, les habitations sont plus ou moins en bon état.
Mais plus haut, c’est une autre histoire… Mais ce n’est pas le temps qui a fait son oeuvre, c’est… la RAF.
En effet, le village a été abandonné en 1959 après le bombardement de la Royal Air Force lors de la peu connue Guerre du Djebel Akhdar, débutée 4 ans plus tôt… Les rebelles civils s’étant réfugiés dans les wadi, ils furent proprement décimés par le feu et le fer anglais, soutenant le sultanat d’Oman. Je traverse les ruines de Ghul, et me retrouve sur le dos pelé du djebel.
Le Djebel Shams culmine à 3000m, on le sait, j’y suis allé la dernière fois. Et pourtant, il paraît, d’ici, écrasé, accablé, comme chargé d’un poids tel qu’il ne parvient plus à s’élever de ses 3000m… Et oui. Il fait 42°C. Écrasé de chaleur, c’est le mot. C’est aussi mon cas. Plus qu’étouffant : oppressant. Suffoquant. En un instant, mes 70% d’eau se réduisent comme peau de chagrin, je transpire, mais ma sueur s’évapore instantanément…
Alors il n’est guère possible de courir : au bout de dix pas, le malaise guette. Le coeur s’emballe, comme si la chaleur aspirait tout l’oxygène de l’air. Celui-ci, malgré une bise légère, est si chaud qu’il s’engouffre dans les poumons comme une bouffée ardente : sous la brûlure, ils se rétractent… Je me hisse péniblement jusqu’au bord du fameux canyon…
Les cairns indiquent globalement une direction, mais pas aussi sûrement que ne le fait le bord du canyon : le vide est généralement bon guide.
Tandis que je monte, le soleil décline. Je me hisse au-dessus de l’horizon, gagnant des températures plus clémentes, et l’astre bascule derrière, diminuant d’intensité. L’effet combiné des deux est que l’atmosphère devient nettement plus respirable. Le mauvais côté, c’est qu’avec la température décroît aussi la lumière…
Il est temps de bivouaquer. Le vent s’est levé, je dois redescendre trouver un endroit plus abrité. Je donne congé à la faune locale, rendez-vous est pris pour le lendemain matin…
Après une nuit courte et presque sans histoire (je me suis fait voler mon casse-croûte par une espèce de chacal à moins d’un mètre de mon duvet), je me réveille avant le lever du soleil. Lumière sur le canyon encore endormi.
Comme je n’ai rien à me mettre sous la dent pour le petit déjeuner (le chacal a du se régaler), je profite de la température encore clémente pour expédier les dernières centaines de mètres avant le village d’Al Khitaym, perché à 2000m.
Al Khitaym est plus un regroupement de cabanes qu’un village, peuplé de chiens et de chèvres. A l’intérieur d’une baraque, une famille déjeune, à même le sol, discutant avec entrain.
De là, un sentier descend dans le canyon. J’ai l’impression de descendre dans le gosier de la Terre.
Suspendus dans le vide, comme portés par la brume de chaleur, des rapaces tournoient doucement.
L’un d’eux survole le chemin, à flanc de falaise.
Il me suffit à présent de suivre quelques cairns…
J’arrive assez vite près d’une paroi contre laquelle sont amoncelés des tas de pierre. Enfin plutôt des murets, en mauvais état, des épaulements délimitant des soubassements en terre battue.
Des enclos sommaires, construits avec des bouts de bois, pourraient faire office d’enclos pour des chevreaux.
Il y a les restes d’un ancien moulin à farine sommaire, un four, bref de quoi subsister.
Aurais-je déjà trouvé As Sab ? J’en doute… Probablement la boulangerie, et des entrepôts de stocks de nourriture, mais pas le village… D’ailleurs le sentier continue…
Le soleil se hisse doucement, apportant avec lui ses vagues de chaleur : la brume masque déjà les falaises d’en face.
Le sentier continue, toujours à flanc de falaise, surplombant le wadi près de 1000m en contrebas. Un faux-pas et c’est le vol plané…
Et soudain, au détour d’un virage, une branche du canyon s’enfonce vers l’est, comme un fjord, abrité du soleil. Au fond de cette baie naturelle, ne serait-ce pas un port ? Ne serait-ce pas l’endroit idéal pour un village caché ?
Je continue le long de la falaise.
Un kilomètre plus bas, le fond du Wadi Ghul.
Devant moi, un dernier coude. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’il dissimule quelque chose. Étonnant comme certains virages n’ont l’air de rien, alors que d’autres sont plein de promesses…
Je contourne le rocher. Et là, As Sab se dévoile. S’offre à ma vue. Ses cultures en terrasse surplombant le vide.
Ses première habitations, bâties contre la falaise, à l’abri d’un surplomb rocheux.
As Sab. Ou Sap Bani Khamis. Ses garde-manger, creusés dans la roche.
Ses portes, encore en état.
Les habitations sont somme toute sommaires. L’entrée est étroite, le plafond bas.
D’ailleurs, le plafond est noirci par la fumée des feux de cuisine qui s’échappait non pas par une cheminée (inexistante) mais qui cherchait son chemin à travers les brèches du toit.
Difficile d’imaginer comment cette quinzaine de familles pouvaient vivre là. Peut-être qu’avec l’aménagement d’alors (couvertures, ustensiles de cuisine) l’endroit était plus accueillant…
La rue principale du village.
A partir de là, les maisons ont deux étages ! Des HLM d’époque !
Le village est proprement abrité par la falaise contre laquelle il s’est blotti. Les arbres environnants (les platanes de nos villes à nous) semblent être des grenadiers.
Abrité du soleil, de la pluie, pourvu de fruits, des cultures en terrasse non loin, il ne manque que de l’eau et une protection contre les ennemis, et le village sera un endroit complètement protégé où on peut vivre en sécurité. Pour ce qui est de la protection justement, en plus de l’accès particulièrement difficile des lieux : une tour de guet.
De là, on peut justement surveiller les terrasses. Petit air de cité disparue.
Le problème de l’eau ? Réglé.
Un bassin recueille l’eau de ruissellement. Malgré la température excessive et l’air sec (il doit faire 35°C avec un point de rosée à -2°C ce qui laisse imaginer la sécheresse de l’air), on aperçoit des mousses et même de l’herbe bien verte en contrebas. On distingue sur la photo ci-dessus le déversoir du trop plein de la citerne, ainsi qu’un mini falaj qui amène l’eau dans un petit bassin.
Le système de falaj permet d’amener l’eau vers les habitations ou les cultures (à droite de la citerne).
Le sentier continue, et nous emmène jusqu’aux magasins. On y distingue des cellules de stockage, en torchis, utilisées pour conserver les grenades et autres denrées.
Encore un petit coude à franchir,
et nous voici sur les fameuses terrasses.
Aujourd’hui, faute de soin, les « restanques » sont arides, stériles. Mais à l’époque, qu’y cultivait-on ?
Des oignons. Tomates. Pastèques ! Piments. Citrons. Blé. Grenades. De quoi vivre toute l’année. Avec de l’eau, et de l’élevage (moutons, chèvres, ânes) ils pouvaient vivre en autonomie totale : eau, viande, légumes, pain…
Les terrasses descendent sur une dizaine de niveaux avant le grand saut : la dernière marche fait 500m de chute libre. La falaise, sous les cultures, est en retrait : on ne la voit même pas. Le vertige est si impressionnant que je ne peux même pas m’avancer !
La chute ? Une dizaine de secondes au bas mot, une vitesse maxi de plus de 200km/h (270km/h en théorie mais le corps humain plane…un peu). Adeptes du base-jump : c’est l’endroit idéal !
Moi, je préfère me retourner et sortir de là par le haut :
Une falaise de 200m surplombe le village. Une ancienne voie de communication permet de relier le village au Plateau, situé juste au-dessus. Enfin je dis communication mais je devrais stipuler : d’urgence. Car la voie n’est pas facile…
Aujourd’hui, il y a une via ferrata. Mais à l’époque, ils escaladaient à mains nues… Je gravis la pente jusqu’au pied de la falaise. Là, j’aperçois une grotte ainsi qu’une piscine naturelle. C’est de là que vient l’eau alimentant la citerne du village.
Plus haut, l’éternelle chèvre du djebel m’attend au pied de la via ferrata.
Allez. C’est parti pour 200m d’ascension.
On passe un premier niveau, au-dessus d’un escarpement. Une autre piscine naturelle en surplomb de la première : l’eau vient encore du dessus !
L’escalade continue. Heureusement, on est à l’ombre…
Enfin, on prend pied sur un dernier niveau. Là, un chevreau a l’air tout surpris de me voir surgir du bord de la falaise.
Je reprends doucement mon souffle en admirant la vue sur le canyon.
Plus haut, une autre réserve d’eau, la source de toutes les piscines en contrebas.
En continuant mon ascension, je reprends enfin pied sur le Plateau. Je suis le bord du précipice sur deux kilomètres, pour admirer le village d’As Sab avec un autre point de vue…
Au fait ce village, Sap Bani Khamis, quand a-t-il été abandonné ? Il y a 500 ans ? Hé non… désolé de vous décevoir… Même s’il est ancien, des gens y vivaient jusqu’aux années 70. C’est le Sultan Qabus bin Said Al Said, arrivé au pouvoir à cette époque, renversant son père (despote qui le maintenait en quasi détention), qui a modernisé le pays et relogé les habitants d’As Sab dans des logements plus décents.
On observe les cultures en terrasses, avec la fameuse chute de 500m/10s/200kmh….
La réserve d’eau,
et la via ferrata.
Un dernier regard en contrebas (quand est-ce que je me mets au base-jump ?) et je redescends à toute allure au bas du Djebel Shams et le village de Ghul car une autre destination m’attend.
En effet, la dernière fois j’étais passé près du village de Balad Sayt en me rendant au Snake Canyon. Mais je n’avais pas eu le temps de le visiter.
2 heures de pistes au coeur du massif d’Al Hajar sont nécessaires.
Pendant la route, je vous propose de regarder la vidéo d’As Sab. (version HD ici)
Les photos HD en page expé.
La suite de ma sortie du jour : Bilad Sayt.
PPaco
Encore une superbe expédition, en ce lointain pays d’ Oman, que tu nous fais découvrir un peu plus à chaque voyage.
Exotique et magnifique, le fil de ton récit, nous rend ce beau pays presque familier.
Inimaginable de trouver un village au fond de ce canyon, accroché à la paroi, et de te voir sortir ainsi par en haut …
Et, merci pour la chèvre au milieu de la via ferrata !
Jphi
Merci Paco ! Heureux de te faire partager ces petites sorties. Je tacherai de ramener des photos de chèvre le plus souvent possible !!!
Lafan
Eh! Tu as retrouvé ta copine la chèvre !
Ça fait plaisir de la revoir…
…et sinon, tu es rentré dans les maisons abandonnées ? C’est un beau reportage, intéressant et vertigineux !
Encore une fois, la musique colle parfaitement !
Jphi
Ah oui, décidément les chèvres ont du succès…
Je suis rentré dans quelques cabanes, oui, mais on n’y tient pas debout. Il y a quelques aménagements de « couches », les chambres, c’est-à-dire de la terre battue un peu surélevée et délimitée par quelques pierres, des alcôves noircies creusées dans le mur (la cuisine), mais pas grand chose d’autre. Spartiate !
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