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Il y a deux mois de cela, vous vous en souvenez peut-être, j’ai tenté le passage d’Echo Col. La quantité de neige m’avait dissuadé d’aller plus loin car le tour que j’avais prévu de faire nécessitait au minimum un bivouac, et sans tente, dans la neige, cela paraissait un peu téméraire.

Je réitère donc l’essai, en ce début octobre, en espérant que ces quantités astronomiques de neige aient eu le temps de fondre.

Je roule donc, en ce petit matin, plein nord sur la Highway 395, la Sierra Nevada à gauche, le désert de Mojave à droite.

Derrière les collines d’Alabama Hills, les plus hauts sommets de la Sierra. On devine ici le mont Whitney, escaladé cet hiver.

Je respire : les pics dépassant les 4400m d’altitude sont libres de neige…

Je poursuis donc sur la Hwy 395, le sourire aux lèvres, derrière des écoliers qui doivent l’avoir moins naturel.

Et me voici de nouveau à Sabrina Lake, porte de la Sierra Nevada. Premier changement : le paysage fait moins alpin que la première fois. C’est inconstable, il y a moins de neige. Et pourtant, la température est moins élevée qu’en août dernier. De plus, les couleurs sont plus bariolées : l’automne est là, déjà bien installé.

Allez, musique.

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Je remonte les berges du lac, mais garde mon pull car la température peine à grimper. Il fait dans les 5°C à 9H30 du matin, et un petit vent s’est levé, descendant des pentes rocheuses. Sur ma droite, Piute Crags.

Un bon dénivelé m’emmène jusqu’à Blue Lake. On se rappelle de sa belle couleur bleutée en août dernier, le voici tirant sur le vert.

Je me hâte, car j’ai déjà parcouru ce chemin (pour les photos, voir l’article mouvementé Echo Col) et il me tarde de jeter un oeil derrière cette muraille de pierre sur laquelle j’avais rebroussé chemin. Dans mon empressement je rate un embranchement et me retrouve par erreur sur les berges de Midnight Lake. C’est le petit frère de Moonlight Lake que j’avais vu la dernière fois. Comme quoi, à quelque chose malheur est bon : sur un sentier connu, une simple distraction peut nous amener son lot de découverte.

Toujours pressé d’avancer, je choisis, quand je réalise mon erreur, de ne pas faire demi-tour (tout le monde sait que je n’aime pas faire demi-tour, ce qui n’est d’ailleurs pas un signe d’intelligence). Je gravis donc l’élévation qui sépare Midnight Lake de Hungry Packer Lake, me retrouvant alors en terrain connu.

Je retrouve ainsi Moonlight Lake et sa fameuse moraine que j’avais dû franchir deux fois en août, à l’aller et au retour…

Devant moi, les pierriers qui me permettront d’atteindre Echo Lake. J’avais préféré quand ils étaient couverts de neige. J’avais pu les franchir avec les crampons assez facilement. Là, c’est une autre histoire. Il y a beaucoup de pays où les distances se franchissent plus facilement en hiver, contrairement à ce que l’on croit. L’hiver, la neige et la glace saisissent l’obstacle, l’immobilisent et, bien équipé, on peut le franchir aisément. L’été, le sol recouvre sa mobilité : les roches basculent, l’eau affleure, la boue vous retient, la végétation vous agrippe, bref, la glace vous manque…

Enfin, Echo Lake.

Le paysage s’est bien transformé en deux mois. La dernière fois, c’était ça :

D’ailleurs le niveau d’eau est bien monté, et a recouvert l’endroit où j’étais passé à travers la couche de glace.

Je continue mon ascension. J’aperçois maintenant Echo Col. Une passe peu facile d’accès, à 3700m d’altitude. Le névé est toujours là, il faudra que je chausse les crampons.

J’approche des fameuses murailles, Cirith Ungol, l’impression de passer en Mordor est toujours là!

Le col étant de classe 3, l’escalade est inévitable. Je me serais bien assuré mais s’il fallait emporter, en plus du sac de couchage/réserves alimentaires/nécessaire de survie, une corde et des coinceurs, je devrais rebaptiser mon site en hiketheplanet.fr avec ces 15kg sur le dos !

J’arrive au sommet, enfin. Dès que le haut de mon corps dépasse de la corniche je suis happé par une rafale. Le vent, au fur et à mesure de mon ascension, avait foncièrement forci. Mais là, au passage du col, c’est une bourrasque qui veut s’emparer de moi. Une tourmente, violente et insistante qui ne s’y prendrait pas autrement pour me faire redescendre d’où je viens. La gardienne du passage c’est elle, la harpie invisible. Je jette un regard rapide de l’autre côté pour m’assurer que mon objectif est libre de neige. J’aperçois, tout là-bas en arrière plan, le mont Solomons derrière lequel se cache le Ionian Basin, but de mon voyage. La quantité de neige semble acceptable pour un bivouac.

Comparée à celle d’il y a deux mois :

Par-contre, le vent, l’est moins. Il s’engouffre sous mes vêtements, me tire en arrière par mon sac à dos, me déséquilibre, me balance des gifles cinglantes. Je descends de quelques mètres dans le goulet, moins exposé qu’à cheval sur la muraille déchiquetée, et je fais le point. Impossible de bivouaquer sans tente, d’autant plus que de gros nuages sombres, caracolant avec le vent furieux, tournoient au-dessus de ma tête. Alors quoi ? Vais-je rebrousser chemin une fois de plus? Ce Bassin Ionien si prometteur se refuse encore à moi ? Je sais qu’au pied du Mt Solomons existe un refuge, une cabane en pierre construite sur la Passe de Muir car celle-ci est particulièrement exposée. Je choisis de pousser jusqu’à cette cabane, Muir Hut, et de m’y abriter en cas de besoin. Et si le vent se calme d’ici là, je contournerai le Mt Solomons pour basculer dans Ionian Basin.

Décision est prise, je continue. Je descends donc dans le goulet sous Echo Col, avec une vue plongeant dans 11428, le lac sans autre nom que son altitude en pieds.

Petit coup d’oeil en arrière, pour bien repérer l’accès à Echo Col en cas de retour. Pas facile de localiser le passage quand on ne connaît pas…

En fait, pour le lecteur-randonneur qui voudrait s’y rendre, le col, comme une frontière entre le bien et le mal, est à la rencontre du blanc et du noir, borne entre deux mondes, que je viens de franchir. C’est la brèche en V, taillée par le glaive d’un Roland.

Je longe 11428, et ce qui devait me prendre 10 minutes d’après la carte topo m’occupera plus d’une heure sur le terrain, car celui-ci est en dévers, et n’est qu’amoncellement de pierres et fragments de dalles, déjections rocheuses tombées des montagnes.

Je galère dans cette jungle de cailloux. Chaque pas nécessite une concentration pour choisir la bonne pierre, celle qui ne roulera ni ne glissera ; je sautille de roche en roche, d’arête en faille, bousculé par des rafales de vent soudaines. Impossible de suivre une isoplète. Non que celle-ci soit un animal insaisissable, mais s’astreindre à garder une même altitude en suivant la ligne de ce nom est sur ce terrain une mission laborieuse : le plus court chemin n’est pas toujours la ligne droite, ni le moins fatiguant celui du terrain plat ; je dois monter, descendre, remonter pour suivre un itinéraire praticable. Résultat, la fatigue et la lassitude me guettent. Le backcountry n’est pas de tout repos. À la vue du petit lac en contrebas un sourire renait sur mon visage.

En effet je remarque qu’un petit sentier longe sa rive, remontant de LeConte Canyon, au loin. Ce sentier, c’est le JMT, le John Muir Trail, qui sillonne toute la Sierra, et dont j’ai emprunté des tronçons à de multiples reprises, à mon grand plaisir. Ce sentier remonte la vallée en contrebas, donc, jusqu’à Muir Pass et au-delà.

Je me hâte donc de le rejoindre à mi-pente, cela me permet immédiatement de progresser beaucoup plus vite. Pour le coup, le Mt Solomons paraît beaucoup plus accessible. Le ciel s’est couvert, le temps s’est rafraichi. Plus j’avance, plus les montagnes semblent grises et inhospitalières.

Seules quelques massifs de fleurs, çà et là, égaillent le paysage. En passant dans un petit bosquet, je ramasse du bois sec en prévision du bivouac de ce soir, car à 3600m il n’y aura pas de bois du tout. Je charge mon sac à dos d’un petit fagot.

Les bords d’Helen Lake sont aussi accueillants qu’une plage de la mer de Barents, aussi je lui jette un regard sans m’attarder.

J’arrive au pied du Mt Solomons (3900m). Mon point de décision. Ionian Basin, mon objectif, s’étend de l’autre côté.

Le vent souffle avec toujours autant de vigueur, erratique et sauvage. La nuit approche à grands pas et emporte ma décision d’un claquement de doigts : je pensais être à l’abri du vent sous les contreforts de Solomons, et ce n’est pas le cas, alors j’imagine ce que ça doit être de l’autre côté… Au lieu de prendre à gauche dans les pierriers je choisis la voie de la sagesse, le long du JMT, vers Muir Pass et son abri de pierre.

La cabane a été construite en 1930 par le Sierra Club pour abriter le randonneur pris dans la tourmente car Muir Pass est une passe très exposée, à 3600m. Je m’y réfugie, exténué, me restaure rapidement et m’enfouis dans mon sac de couchage…

[image width= »107″ height= »150″ align= »left » frame= »noframe »]http://www.runtheplanet.fr/wp-content/uploads/2011/10/John_Muir_Cane.jpg[/image]

John Muir. 1838-1914. Écrivain. Ingénieur. Naturaliste. Précurseur. Avant tout : aventurier solitaire. Il aura sauvé la vallée de Yosemite, créé le Sierra Club et donné naissance au principe de préservation des espaces naturels, inspirant encore aujourd’hui par ses écrits le mouvement environnemental moderne. Il est mort la veille de Noël en 1914, de tristesse selon certains de n’avoir pu sauver la vallée d’Hetch Hetchy (plus belle encore que le Yosemite) de la construction d’un barrage.

[floatquote]John Muir[/floatquote]Aucun temple construit de la main de l’homme ne peut être comparé à Yosemite.

C’est bercé par ces pensées que je m’endors paisiblement dans la cabane de John Muir.

Je me réveille trois heures plus tard sous les mugissements du vent. Dehors la tempête fait rage. C’est la Nuit sur le Mont Chauve. Les éléments de l’air se sont donné rendez-vous cette nuit-là, autour de ma cabane, pour le Sabbat. Si mon abri n’était en pierre, il se serait déjà émietté. Le vent tente par tous les moyens d’entrer : ses doigts glacés farfouillent sous la porte, manipulent la poignée, s’appuient contre le boiserie qui craque ; je les entends parcourir à tâtons l’embrasure de la fenêtre, à la recherche d’une brèche. Le vent est si fort et discontinu que par moments il disparaît puis, quand il est là, soudain et entier, il prend forme. Littéralement : j’observe très clairement des ombres passer et repasser devant la fenêtre. Des silhouettes qui s’agitent, courent, se pressent devant la lucarne et s’enfuient dans le noir. En toute honnêteté je dois dire que je n’en menais pas large. Des ours ? Des hommes ? Des fantômes ?

Mais qui donc sont ces gens qui vont et viennent devant la cabane ? Quel mauvais tour me joue la Sierra ?

à suivre….

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • 14 octobre 2011

    J’ai été complètement absorbé voire subjugué par ton récit et tes images somptueuses comme à chaque fois.
    Courageuse aventure s’il en est vivement la suite de tes aventures ;-))

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  • 14 octobre 2011

    Merci Calimero, j’aimerais avoir le courage que tu me prêtes! D’ici quelques jours, la suite.. Un beau voyage en solitaire, par le corps et surtout par l’esprit! A suivre, donc…

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  • Jacky

    15 octobre 2011

    Très beau récit. Quel suspense…. Je vois que maintenant tu te transformes en scénariste de série
    Bon alors la suite ????

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    • Jphi

      15 octobre 2011

      Allons Jacky… il faut attendre pour le prochain épisode… c’est le lundi soir la série runtheplanet !!
      Sur l’autre chaine il y a cevennes-trail-club aussi c’est pas mal…

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  • Patrick

    15 octobre 2011

    La beauté de ces paysages me tirerait presque des larmes !
    Mais pour le moment tu es en danger, bouges pas , je t’envoie une grenade, ca te rassurera et je me sentirai plus à l’aise !!!
    Mais attention J-Phi, ce n’est pas une vraie grenade c’est un transmetteur!
    Il te permettra de t’allier les Démons du Vent et de survivre en Mordor.
    Tu peux compter sur moi.
    Aller, la suite……

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    • Jphi

      16 octobre 2011

      t’es con… mais je sens monter en toi l’exaltation, je suis sûr que tu n’attends qu’une chose c’est que ça parle de démons, de super pouvoirs, d’aliens, de malédictions, d’avions en perdition, et de complot du gouvernement annexé par les forces du mal… du calme Pat, ce n’est qu’un petit blog de course à pied !

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  • Bubu

    16 octobre 2011

    Ptite peureuse…. Nan je déconne, t un ouf

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    • Jphi

      16 octobre 2011

      ouaa j’adore que mon blog soit lu par quelqu’un de l’autre côté de la planète… salut mon poulet !

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  • le concombre masqué

    16 octobre 2011

    Ce n’est plus un reportage….Tu rentres dans le domaine du roman d’aventure à la Jack London, du roman initiatique à la Coehlo….Chapeau l’artiste.

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    • Jphi

      16 octobre 2011

      Attention le Concombre, tu ne crois pas si bien dire… j’attends un peu avant de poster la 2ème partie pour ne pas être taxé d’esprit complètement barré… A ma décharge : c’est la nature, montagne et météo liées, qui s’est occupée de planter le décor, mon imagination n’a fait que monter dans le wagon…

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      • le concombre masqué

        16 octobre 2011

        Attention, JPhi, le wagon, sur le plan symbolique, n’a plus rien à voir avec ton voyage mais fait référence à l’histoire. Les images références placées face à des mots sont parfois détestables. Mais tu n’étais pas dans un wagon, plutôt dans le Columbia ( petit indice pour toi : JV de la TàlaL ). A traduire.

      • 17 octobre 2011

        Je vois que j’ai affaire à un furieux de Jules Verne!!!

  • Jacky

    17 octobre 2011

    Bon, cela devient un peu hard pour moi si le comcombre si met. Allez, je vais visionner la suite…

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  • ThePop

    17 octobre 2011

    Hello petit Hobbit, toujours à la poursuite de l’Anneau magique je vois, mais là ton passage en Mordor te fait vraiment ressentir l’appel irrésistible de l’Anneau.
    Cette délicieuse peur qui étreint le lecteur passionné trouvera-t’elle son épilogue ?
    Vite-vite la suite…

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    • Jphi

      17 octobre 2011

      Ça y est Pop la suite est en ligne… Je suis ressorti sans l’anneau, j’en ai déjà un… mais pour le reste t’as raison, cette petite peur, comme souvent dans la Sierra, est vraiment délicieuse….

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