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Cortina d’Ampezzo, Vénétie, Italie. On se rappelle (pour ceux qui étaient nés) les Jeux Olympiques d’hiver en 1956… À 1200m d’altitude, au coeur des Dolomites, la petite bourgade sportive a un petit air de Chamonix. C’est là que se tient la 7ème édition du North Face Lavaredo Ultra Trail.

 Enfin cela, c’est sans compter sur la loi du Chat Noir… Car depuis quelques jours, en cette fin juin, de gros nuages sombres errent dans les vallées de Vénétie, autour des pics de dolomie, comme des âmes damnées, accompagnée de leur cortège de températures négatives. Tout le monde croise les doigts. Las, la veille de la course le chat noir (moi, maintenant j’en suis sûr) débarque dans les rues de Cortina. Immédiatement, comme s’ils n’attendaient que cela, les nuages crèvent, se vidant de leur eau dans les vallées, et étendant un épais manteau de neige sur les sommets, les cols, les pâturages, et tout ce qui dépasse les 1900m d’altitude, c’est-à-dire 30% du tracé de la course.

Lavaredo_00

La direction de la course communique en disant étudier des parcours de repli qui permettraient d’éviter les zones dangereuses tout en conservant kilométrage et dénivelé. Depuis deux ans j’ai souvent entendu ce discours aussi je n’arrive pas à m’interdire de penser à un plan B type celui de l’UTMB 2012 (qui s’est transformé en une randonnée dans les basses vallées boueuses de Chamonix) voire le plan Z de la Maxi-Race 2013 (annulation pure et simple).

Le départ est prévu pour 23h, avec un briefing à 18h. Aux alentours de 16h, la nouvelle tombe, comme la neige la nuit précédente : lourde et glacée. À cause des 30cm de poudreuse, les passages de Tre Cime Lavaredo, Val Travenazes, Cinque Torri et Passo Giau sont impraticables. Autant de noms qui m’ont fait rêver et baver d’envie… Du coup, au lieu des 120K/5500m+ on tombe à 85K/3400m+. Une toute autre course, plus roulante, plus rapide. De plus, quatre randonneurs frigorifiés ont du être secourus la nuit précédente, les températures descendant à -6°C la nuit. Donc le départ se fera de jour, le samedi matin à 8h. Durant le briefing les organisateurs diront n’avoir jamais vu de la neige et de telles températures en cette période de l’année… Je sens ma tête s’enfoncer dans mes épaules, j’ai l’impression que les 1500 participants entassés dans l’auditorium ont les yeux braqués sur ma nuque. Désolé les gars… Le mauvais sort s’acharne sur moi encore et encore ! Ça devient lourd, là !

Et du coup, le soir même, les nuages s’effaceront, du relativement beau temps est prévu pour le lendemain…

Cortina

Cortina

Et de fait, le lendemain matin, le ciel est d’un bleu profond, le soleil brille… On se concentre sur cette nouvelle course, surtout aux premières lignes.

Emmanuel Gault

Le départ est donné, accompagné d’une musique d’Ennio Morricone, et on part plein nord à l’assaut des montagnes. Petit passage près du Lago Ghedina, je m’arrête pour prendre ma première photo : je suis là pour une compétition, mais aussi pour en prendre plein les mirettes !

Lago Guedina

Puis on attaque la pente, sur les premiers contreforts du Tofana Di Mezzo. Derrière nous, Cortina d’Ampezzo et les 3200m du Punta Sorapiss.

Cortina

Le chemin est assez large pour qu’il n ‘y ait aucun embouteillage malgré le relativement grand nombre de coureurs (plus de 800 inscrits sur cette épreuve).

Lavaredo Ultra Trail

Lavaredo Ultra Trail

Le paysage s’annonce magnifique. On avance le long de la vallée nord-sud qui mène au sommet capé de blanc du Croda Rossa.

Lavaredo Ultra Trail

Tout au bout de cette vallée, au pied du Croda Rossa justement, on descendra au fond, et on empruntera une vallée perpendiculaire, à droite sur la photo ci-dessus : le Val Padeon. On remonte le cours d’eau du Ru Bosco, dans une forêt de sapins de laquelle dépasse les pics du Crépe de Zumèles.

Lavaredo Ultra Trail

Cette remontée du Ru sera une belle ascension vers le col de Forc Son Forca, environ 800m de gain d’altitude : comme je suis bien entraîné pour les grimpettes, je sors mes bâtons et me fais plaisir. Je double, je double, continuellement.

Lavaredo Ultra Trail

Et évidemment, plus on monte, plus on se rapproche des hauteurs, des cimes libres de végétation, du monde minéral dont je suis friand…

Lavaredo Ultra Trail

…et bien évidemment de la neige car celle-ci est tombée à 1900m d’altitude, et on flirte ici avec 2100m.

Forc. Son Forca

Cela fait du bien de quitter la forêt pour la pierre. La roche et la glace : un monde à part, nu, brut, immuable. Depuis que le monde est monde, l’endroit n’a pas changé, insensible aux saisons. Je le préfère aux vallées étouffantes, aux pâturages ratissés par les vaches, aux collines verdoyantes et grasses.

Forc. Son Forca

Lavaredo Ultra Trail

On bascule de l’autre côté du col. Et malheureusement, on ne restera pas très longtemps en pays minéral : tandis qu’on redescend dans le Val Pona on retrouve très vite l’herbe tendre qui facilite la foulée.

Val Pona

On traversera néanmoins quelques névés, témoins de l’hiver précédent s’attardant en cette fin juin… Je précise qu’on est en été, à 1700m d’altitude seulement…

Lavaredo Ultra Trail

Et on arrive finalement au premier gros ravitaillement, à l’hôtel Cristallo.

Lavaredo_19

Pointage, on refait les niveaux d’eau. Le ravito est bien achalandé, à l’italienne : il y a carrément des biscottes tartinées de confiture et même de nutella ! On pourrait prendre son petit dej dans les ravitos italiens ! Je repars rapidement, 500m d’une ascension qui s’avérera facile, le prochain ravito en ligne de mire. Sauf qu’un long déroulé sur une piste cyclable le repousse continuellement à l’horizon. On croit qu’on arrive, car on s’approche des rives du Lago di Misurina. Mais la piste ennuyeuse à souhait le longe, en fait doucement le tour… Il faut courir sans arrêt sous peine de chuter à vitesse grand V dans le classement général. C’est un peu l’image de cet ultra : courir, courir, courir ; le dénivelé s’est transformé en vitesse de pointe. Comme je ne suis pas du tout entraîné pour maintenir une vitesse élevée pendant aussi longtemps, je commence à avoir les cuisses qui tiraillent. Elles demandent de la pente, je n’ai que des faux plats rapides à leur offrir.

Misurina

Misurina. Re-pointage. Re-ravito. J’en profite cette fois pour me changer : sosset-secs, chaussures, t-shirt, buff. Effet garanti, je repars comme neuf ! Mes pieds douloureux, nouvellement crémés, sont soudain légers. Un derniers petit signe à ma petite femme et à mes deux grands qui sont venus me soutenir (présents à tous les ravitos ! ) et je repars. Normalement, une longue ascension aurait du s’en suivre pour aller rendre visite à Tre Cime di Lavaredo, l’emblème de la course.

Tre Cime di Lavaredo

Mais à cause de la neige, comme je le disais au début de cet article, le tour des trois cimes sera coupé par un raccourci presque impoli. Au lieu de rendre visite à ces dignes roches, nous abandonnerons la partie, préférant la descente à la montée, le long d’une vallée certes jolie, mais sonnant comme un renoncement.

Val de Rinbianco

Tant pis, on n’ira pas courir sur ces flancs rocheux. Les montagnes nous regarderons passer en se demandant pourquoi cette année on ne vient pas les saluer.

Val de Rinbianco

Val de Rinbianco

Une longue longue descente nous amènera au Lago di Landro, puis à Carbonin. Comme les pluies ont fait gonfler les lacs qui ont débordé et inondé les abords, on délaissera les sentiers pour une piste cyclable plus en hauteur. Le résultat : 5km d’un faux plat interminable où la marche est proscrite. On en est environ au 50ème kilomètre, les cuisses grimassent, surtout les miennes. Elles couinent. Tant pis pour elles, il faut courir. On arrive enfin à Cimabanche. Re-re-pointage, re-re-ravito. Et on repart, enfin une petite ascension ! Je les attends avec délectation maintenant… Le Croda Rossa, aperçu dans la matinée en fond de vallée, est maintenant perdu dans les nuages.

Cimabanche

Mais la pente est vite avalée, on passe le col de Forc Lerosa à 2000m, et on bascule dans la vallée voisine, direction Malga Ra Stua, à 1600m d’altitude, parmi les vaches. Nous en sommes à 67km.

Malga Ra Stua

Il y a beaucoup de monde installé au re-re-re-ravito de Malga Ra Stua. Alors, aussi parce que j’en ai un peu marre, j’opte pour une tactique à brûle-pourpoint : je zappe le ravito. Mon camel est quasiment plein, j’enfourne un gâteau sec et un bout de fromage (parmigiano reggiano !) – un petit coucou à mes deux grands dadets qui s’amusent à taper le cul des vaches – et je file, doublant du coup une vingtaine de concurrents.

Malga Ra Stua

On continue à descendre, s’enfonçant dans les basses vallées, repassant sous les 1400m d’altitude.

Lavaredo Ultra Trail

La suite est un peu l’inconnu : on aurait du, à ce moment, repartir à l’assaut de Val Travenanzes, à 2300m d’altitude en moyenne, une vallée minérale magnifique, aujourd’hui interdite par la neige. On est censé passer un col voisin, pour redescendre dans la vallée de Cortina d’Ampezzo. Mais comme l’itinéraire bis a été décidé tardivement, je n’ai pas le profil avec moi, je pars vers l’inconnu. Ne sachant pas si la suite allait monter ou pas, je choisis de ne pas m’économiser, alors je cours pour maintenir mon avance.

Lavaredo Ultra Trail

Double erreur. La première, ne pas m’être arrêté au ravitaillement de Malga Ra Stua : cela fait 20K que je cours sans m’arrêter. La deuxième : il y a une côte, finalement. 400m environ, pas grand-chose. Mais la pente est très forte, la plus prononcée des pentes depuis le départ ! Elle coïncide avec un moment de moins bien : le dénivelé qui s’allie avec la baisse de régime ne vous laisse que peu de chance. Je rame. Je me force à avaler deux ou trois pâtes de fruit. Peine perdue. Mes jambes sont en coton. Je me fais doubler dans la montée ! Tant pis, je laisse filer, le but est de passer en mode économie le temps que la forme revienne. On franchit la passe de Posporcora.

Paso Posporcora

Et on retrouve le tracé des 15 premiers kilomètres de la course, à l’envers… Mes jambes ne se sont pas remises : plus habituées à grimper qu’à courir elles sont devenues douloureuses. Plus inquiétant : elles rechignent à descendre. Je ne m’entraîne plus dans les descentes il faut dire : d’une part je compte sur certaines facilités techniques, d’autre part j’économise mes genoux. Mais du coup, les quadriceps, peu familier à la contraction excentrique, sont endoloris. De même que mes articulations. Du coup, ma vitesse de descente est ridicule ! Les vingt coureurs laissés derrière moi à Malga Ra Stua ont tôt fait de me reprendre et de me mettre 20 ou 30 minutes dans la vue… Je trottine, à défaut de muscle, à la volonté. Je force l’allure car je voudrais arriver à Cortina avant la nuit, histoire de ne pas avoir à sortir ma frontale.

Lavaredo Ultra Trail

Petit arrêt-minute au dernier ravitaillement du Lago Ghedina, ma première photo du matin, il y a 12 heures, et comme il ne reste que 5 kilomètres je ne m’attarde pas. L’arrivée me tend les bras.

Cortina

Je force l’allure dans les rues de Cortina sous les bravi des italiens (et des français : les supporters patriotes se sont surpassés sur tout le parcours !)

Je franchis enfin l’arrivée, en 12h30 (pour une barrière horaire de 22h maximum), accompagné de mes deux grands petits, qui auront eu la patience de me suivre toute la journée !

Lavaredo_33

Et ça, je dois dire, vaut tous les plaisirs et toutes les peines du monde. Je veux bien courir encore 200 kilomètres pour avoir encore le droit de vivre cette joie. Merciiiii à vous, famille adorée !!!

lavaredoUT

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • 3 juillet 2013

    Bon, la déception du parcours modifié et de ne pas être passé par les points les plus hauts a été estompée par cette belle sortie en famille. Beau et émouvant reportage. Bravo !

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    • Jphi

      3 juillet 2013

      Merci à toi !! Je commence à avoir l’habitude de traîner les pieds dans la boue maintenant…

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  • 3 juillet 2013

    Comme d’habitude de super photos, cela fait plaisir de voir tes petits si grand déjà
    le petit baigneur que je suis reste toujours bouche bais de tes exploits.

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    • Jphi

      3 juillet 2013

      Hey ! C’est vrai que ce n’est pas mon habitude de les mettre en photo sur mon blog, ni moi d’ailleurs, mais étant donné qu’ils ont joué un rôle non négligeable… À bientôt petit baigneur !

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  • Tat

    3 juillet 2013

    Quelle splendide arrivée encadré des tes super-fans tes deux aînés !

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    • Jphi

      3 juillet 2013

      n’est-ce-pas ? Bientôt c’est moi qui les accompagnerai sur leur ligne d’arrivée…

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  • Sab

    3 juillet 2013

    Tout simplement… magnifique! Merci pour ces voyages fabuleux! bisous

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  • Lafan

    3 juillet 2013

    Je rejoins monsieur trailman2 quant à l’emouvante beauté et à la sincérité de ton témoignage…
    C’est poignant, on ressent bien tes émotions…
    Même si, une fois encore, tu subis des déconvenues , celle-ci aura au moins eu le mérite de mettre à jour tes points faibles …auxquels tu devras remédier en t’entrainant différemment …
    Quoiqu’il en soit, tu ramènes de belles photos et de bons souvenirs…
    ….next stop, l’UTMB….

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    • Jphi

      3 juillet 2013

      Merci Lafan, tu as raison pour les points faibles. Chaque course étant particulière, elles pointent à chaque coup une faiblesse différente ! C’est l’occasion de parfaire ses réglages pour la fois suivante où un autre point faible sera mis en exergue… On n’en finit jamais, c’est la galère perpétuelle !
      Mais qu’est-ce que c’est bon…

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  • Lafan

    4 juillet 2013

    ….il y a bien un moment où tu seras au point !

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  • Cris

    5 septembre 2013

    Jean Philippe, your story is fantastic! Thanks for sharing! We wait for you in Cortina next June for the originale path, ok? Best regards, Cris

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    • Jphi

      5 septembre 2013

      Thanks Cris ! Especially since the text is in french… Thanks to read me !!! And I enjoyed much the sceneries of Cortina and Lavaredo so I’ll be back soon…

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