Huangshan, Chine. Les Montagnes Jaunes. La dernière fois que j’y suis allé, en mai dernier, j’avais été accueilli par la pluie et les orages. J’ai décidé de remettre ça au plus vite, mais c’était sans compter sur ma black-cat-attitude : grand beau temps jusqu’à la veille de mon arrivée, 48 heures de pluie et brouillard, puis une semaine de beau temps dès le lendemain de mon départ… On dit que les chats n’aiment pas la pluie, les chats noirs si !
Malgré des prévisions météo maussades, j’ai quand même choisi de m’y rendre, entraînement dénivelé oblige, en prévision de l’UTMB dans un mois, et de la Diagonale en octobre… Du coup, étant de passage dans la ville chinoise de Wuhan, dans le Hubei, je me rends dans la gare routière afin d’emprunter un bus à destination de Tangkou, village au pied de la montagne.
Comme il faut près de 8 heures de bus pour se rendre à Tangkou, et pour me remettre de mon vol Paris-Wuhan avant d’attaquer les flancs de la montagne, je choisis un bus de nuit. Il part à 18h et arrive à 2h du matin. Mais il s’agit surtout d’un bus-couchettes…
A 2h du mat, après une bonne nuit de sommeil à bord du bus, j’arrive presque frais. Tous les hôtels de Tangkou sont fermés, mais il y a un Chinois, Mr Hu, qui attend à l’arrêt de bus à la recherche du client. Je monte sur sa moto et on se rend dans son établissement.
Le lendemain matin, 6h, la météo est conforme aux prévisions : grise et maussade. Au moins, il fait chaud. Trop chaud. J’ignore la queue des Chinois qui attendent pour emprunter le cableway, une télécabine construit par des Suisses, et j’entame mon ascension par les escaliers, gravissant d’un coup les 800m qui me séparent du sommet. Pour les photos, voir mon article précédent, j’ai emprunté le même chemin.
Puis j’arrive au sommet, près de l’arrivée des télécabines. Je suis obligé de subir les files d’attente pour m’extirper de l’aire bondée : les visiteurs sont prêts à tout pour passer sous le rocher de Damoclès.
Mais très vite, à force d’emprunter des escaliers, la concentration de touristes diminue, la pression se relâche. Les flux humains se comportent comme des fluides : les migrations suivent les lois de la pesanteur et de la viscosité ; les marées humaines se répandent sur le plat et les pentes descendantes. Si vous voulez échapper à une inondation, montez… Après quelques centaines de mètres d’ascension, je suis de nouveau seul.
Je m’engage dans une partie des montagnes que je n’avais eu le temps de visiter la dernière fois: le Canyon de la Mer de l’Ouest. Je rappelle que les Mers de Huangshan sont des mers de nuages. Une grande partie de l’année les vallées sont couvertes par les nuées, laissant les sommets les surplomber comme des écueils émergeant de l’océan. Bon pour moi, à chaque fois, c’est marée haute… Je descends dans le canyon ; les parois verticales tombent à pic.
Au fond du canyon, une végétation luxuriante de laquelle émanent des stridulations proprement assourdissantes. Des cigales préhistoriques hantent les bois de Huangshan : elles mesurent plus de 5cm et font un boucan du tonnerre…
Bientôt, j’aperçois un escalier qui descend le long de la falaise. Toute la masse de celui-ci (il est en béton) repose sur des traverses ferraillées serties dans la masse de granit. Il faut avoir confiance, j’ai de la difficulté à me débarrasser de l’impression que si l’une d’elles venait à lâcher, c’est l’ensemble de l’ouvrage, et moi avec, qui serait précipité plusieurs centaines de mètres plus bas…
Je me demande où il mène, alors je décide de le suivre…
C’est une belle promenade que ce balcon en surplomb. Visite d’un canyon qui, sans ces escaliers providentiels, demeurerait inaccessible aux êtres autres qu’ailés.
Le balconnet poursuit son cheminement vertigineux le long des parois verticales, les perçant d’un tunnel, parfois, pour passer de l’autre côté d’une montagne, d’autres fois enjambant le vide comme si de rien n’était.
Il continue ainsi, et je le suis, vers une destination inconnue. Il s’élève, encore et encore, collé contre sa muraille, gagnant bientôt les nuages. La visibilité se réduit drastiquement.
Très vite l’horizon se ferme, les montagnes de granit se drapent de brume, Huangshan se soustrait, le monde disparaît sous mes yeux.
Il n’y a plus que la falaise, le balcon, et moi. Il n’y a plus de sol, plus de ciel, ni haut ni bas. Je me retrouve suspendu dans l’abîme.
Alors je m’arrête et m’assieds, les jambes pendant dans le vide. Autour de moi il n’y a rien. Le néant absolu. Sous moi, la falaise perd son existence.
Au-dessus de moi, j’ai beau scruter l’abîme, je n’aperçois même plus le halo du soleil ; même lui a été avalé par le vacuum. Balançant les jambes dans le vide, avant de disparaître à mon tour, avec le ciel et toutes choses sur cette terre, je me suis dit que décidément, jamais je ne verrai ces montagnes jaunes. Elles se seront éternellement refusées à moi… Pas la peine d’insister : me taper 8 heures de bus pour nager dans le brouillard, c’était la goutte d’eau. Tant pis j’abandonne, je ne les verrai jamais ces splendeurs de Chine…
Puis un vent léger se leva et des lignes se dessinèrent à l’horizon ; le rideau de brume s’ouvrit brièvement, l’espace de quelques minutes.
Les montagnes de Huangshan se dévoilèrent un court instant, juste pour que je les voie, avant de retourner dans leur nuage. Je me suis senti bête.
« Ça va, me dis-je. Ça va, j’ai compris. Je reviendrai. »
Franca
On ressent très bien ce néant dans lequel tu baignes … Mais tu ne parles pas du silence qui devait très certainement t’envelopper autant que cette brûme. Le néant.
Mais aussi la récompense finale : quelques instants pour admirer et immortaliser ces montagnes. Une promesse de se dévoiler à ta prochaine ascension ?? En tut cas, je te le souhaite.
Jphi
Je ne me souviens pas de ce silence mais c’est sûrement vrai, tu as raison, ces cigales assourdissantes ont du la mettre ne veilleuse à ce moment… En tous cas j’espère bien les voir la prochaines fois ces montagnes. J’irai jusqu’à ce qu’il fasse beau !!!!
Lafan
Mi-figue mi-raisin ton récit cette fois !
On ressent bien ta lassitude, ton exaspération, ton dépit …
….mais la nature gagne à la fin et réussit à te redonner espoir!
C’est touchant !
Jphi
mouais t’as raison… Mais je ne m’avoue pas vaincu ! A suivre !!!! Et peut-être plus rapidement que prévu !