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Trois semaines après l’UTMB, trois semaines avant le Grand Raid de la Réunion, pas de meilleur moment pour caser une bonne petite séance d’entraînement en dénivelé… Direction le mont Fuji ! La fenêtre météo est assez étroite mais allons-y !

De Tokyo, deux petites heures de car ou de train suffisent pour se rendre au pied du volcan, à Fujiyoshida. Le mont Fuji est la plus haute montagne du Japon, avec ses 3776 mètres d’altitude. À proprement parler ce n’est pas une montagne, mais un volcan, c’est à dire qu’il n’a pas poussé, et on pourrait presque dire que ce n’est qu’un tas… C’est un stratovolcan, même, donc constitué des multiples couches de lave qu’il a vomi au fil des siècles, lui conférant cette silhouette conique, sa grande hauteur et ses pentes à plus de 45°…

Malheureusement je n’ai pas de photo à vous montrer car à mon arrivée il est noyé dans les nuages… La photo qui suit date de 2008.

Pour l’heure, vu la météo je ne suis pas gâté et la seule montagne à l’horizon est russe :

J’entame mon ascension dans le brouillard. De la vraie purée de pois !

Quand il fait beau, le paysage est déjà plutôt morne. Mais dans le brouillard, alors… il n’y a vraiment pas grand-chose à se mettre sous l’objectif à part quelques torii

À tel point que j’arrive au sommet avec 3 photos dans ma carte mémoire ! Pas de quoi fouetter un chat ni écrire un article !

Je n’ai croisé âme qui vive sur les pentes du volcan. Il faut dire que la saison est terminée (juillet-août), le volcan est « fermé » c’est à dire que les refuges sont fermés et qu’il faut se débrouiller seul (ce qui n’est pas vraiment un problème).

Ce n’est pas aujourd’hui que je ferai le tour du cratère : non seulement on n’y voit à trois mètres mais en plus le vent souffle à 80km/h là-haut…

Alors je prends la porte de sortie, un torii perdu dans le brouillard, et je redescends… Les torii sont des portails. Pas de simples arches en bois, attention. Il ne s’agit pas de passer en-dessous à la légère. Ils sont là pour séparer le sacré du profane, le monde spirituel du monde physique. Chaque porte vous élève un peu plus, vous éloigne du monde réel. Ainsi chaque torii traversé doit être repassé dans l’autre sens afin de revenir dans le monde des hommes : si vous passez par un chemin pour monter au Fuji (il y en a quatre qui partent du pied de la montagne) il vous faut redescendre par le même. Des japonais contournent parfois ces torii quand ils ne pensent pas repasser par là plus tard. Histoire de ne pas se perdre dans le monde sacré… Quant à moi, je suis passé sous tous les torii que j’ai vus, dans un seul sens puisque je suis redescendu par un autre chemin, et deux jours de suite puisque j’ai réalisé une autre ascension le lendemain : sans le savoir, j’allais m’enfoncer dans le monde spirituel sans espoir de retour dans le monde réel sauf à remonter deux fois le Fuji dans l’autre sens…

Je suis donc redescendu par une longue piste dans les scories, jusqu’à Fujiyoshida…

Voilà, c’est fini pour cet article !

Mais non… je suis venu faire du dénivelé, pas me promener… Alors après une bonne nuit réparatrice, je retente l’expérience le lendemain… Première difficulté, trouver un petit dej qui ne soit pas un bol de soupe aux algues et une tartine de tofu… Les bars ne courant pas les rues, je trouve mon café chaud ici…

C’est frugal comme collation, mais ça fera l’affaire : je suis pressé d’entamer ma deuxième ascension car le ciel se fracture peu à peu de bleu, laissant passer un peu de soleil. Je pars à petite foulée à travers la forêt.

La plupart des gens qui tentent l’ascension du Fujisan ne connaissent pas cette forêt. Car celle-ci monte jusqu’à 2300m, c’est-à-dire la 5ème station (le Fuji en compte 8), accessible par la route. Les cars viennent se garer par dizaines à cette 5ème station pour s’épargner la moitié de l’ascension, vomissant leurs flots de touristes japonais et étrangers armés d’un bâton de marche, et ravalant le tout après qu’ils se soient égayés sur les pentes, s’essayant sur les 1500m de dénivelé restants pour atteindre le sommet. Je préfère partir d’en bas, à 700m d’altitude, pour gravir le Fuji dans la totalité de ses 3000m, et profiter de la forêt, ses sanctuaires et maisons de thé.

Je trottine doucement en restant vigilant car des ours noirs d’Asie vivent sur les flancs du volcan, et habitué maintenant aux rencontres ursidées je ne voudrais pas en rater un !

Petit aparté en longeant ces vieilles pierres… Je l’ai déjà dit je crois sur ce blog, le mont Fuji en japonais s’appelle 富士山 ou fujisan. Ne dites pas « Fujiyama » vous passerez pour un inculte ! Ce nom n’est pas utilisé au Japon, c’est une vieille réminiscence occidentale issue d’une erreur de lecture car le kanji 山 se dit san et non yama

Je passe la 5ème station tandis que la forêt est remplacée par une couche de nuages. Je quitte le vert pour le gris. Seules quelques bouquets de végétation éparses égayent un peu ce paysage désolé.

On pourrait facilement se perdre dans ce brouillard ; heureusement le chemin est assez bien marqué, que ce soit par des chaînes ou par des signes :

C’est que le brouillard est plus que fréquent sur cette montagne, il est quotidien. Sur les 5 fois où j’en ai fait l’ascension, j’ai toujours eu du brouillard, que ce soit en bas ou au sommet. Pas grave pourriez-vous penser : si on quitte le sentier, il suffit de monter, on arrivera bien en haut… C’est vrai, mais moins à la descente. Et il y a du danger omniprésent : un collègue s’est perdu sur les pentes du Fuji il y a 4 ou 5 ans, et y a laissé sa vie…

Enfin le brouillard se lève, ou plutôt je m’élève au-dessus…

La pente est encore à 30° d’inclinaison, et nous sommes vers 3000m. Le Fuji laisse enfin entrevoir sa vraie couleur.

Je suis alors au-dessus des nuages. C’est drôle, car j’ai tellement l’habitude d’y être que la photo suivante ne m’a pas choqué alors qu’elle a étonné de nombreuses personnes.

Je passe le sourire aux lèvres sous un autre torii, amoindrissant encore un peu plus l’espoir de retourner dans le monde réel…

Et enfin j’arrive au sommet, à 3700m, gardé par deux lions de pierre.

De là-haut, la vue devrait porter au loin…au-delà de la mer de nuages, on devrait embrasser tout le Japon. Mais non, l’attention est inéluctablement attirée vers le fond du cratère, le regard devrait s’élever, il s’enfonce, il délaisse l’horizon pour le gouffre, la lumière pour l’obscurité, l’espace pour l’abîme…

Je fais le tour du cratère sommital, succession de huit « pics » qui sont plutôt des bosses, croisant quelques refuges désertés car la période d’ascension est terminée.

C’est bon d’être seul sur ce Fuji… seul sur le toit du Japon… Comme la période d’ouverture est concentrée sur deux mois (juillet-août), les pèlerins sont du coup obligés de se concentrer aussi… Comme on compte environ 200000 personnes chaque année sur les flancs du volcan, donc sur 2 mois, cela représente 3300 randonneurs par jour ! beurk (allez, on va encore dire que je suis un solitaire….)

photo by frogcitycheese.com

De l’autre côté du cratère, la station météo du mont Fuji. Établie en 1932, elle a envoyé pendant plus de 70 ans des données météorologiques par VHF, enregistrant notamment un record de vent en 1966 avec 330km/h. Car il y a toujours du vent là-haut, les conditions sont assez difficiles, surtout en hiver. Il y a des morts tous les ans, on a même retrouvés des alpinistes roulés dans leur tente au bas du Fuji… En 1966 toujours, le Fuji, sous le vent, a engendré des tourbillons, dits de Karman, comme on peut en voir dans l’eau derrière la pile d’un pont, qui a provoqué le crash d’un B707 anglais passant au large…

La station a fermé en 2004 et est aujourd’hui abandonnée.

Je poursuis mon tour du cratère, un peu essouflé tout de même (au-delà de 3000m, il n’y a plus que 60% d’oxygène), puis j’arrive près de la grande faille à l’ouest du cône. Celle-ci rappelle que les pentes du Fuji ne sont pas toutes nettes, et que se perdre dans le brouillard peut parfois avoir des conséquences…

Le Fuji est vivant : pour l’heure endormi, il a eu pour habitude d’être assez actif ; il crache, il vomit, il se secoue, s’effondre comme sur la photo ci-dessus. Sa dernière éruption eut lieu en 1707, et a recouvert alors Tokyo de 10cm de cendres.

1707… c’est loin, je devrais être tranquille pour redescendre en toute sécurité… Oui, sauf que depuis le tremblement de terre de 2011 (tout le monde se rappelle de ses conséquences avec Fukushima), les modèles annoncent que la pression interne du volcan a augmenté drastiquement jusqu’à 1.6 Mpa. Sachant qu’avec une pression de 0.1Mpa une éruption pourrait survenir, on peut légitimement craindre le pire…

Tout à ces pensées, j’ai bouclé mon tour de cratère. Revenu sur le flanc est, j’admire les nuages jouer dans le vent, sculptés par les tourbillons furieux du volcan.

Puis, tandis que l’ombre du Fuji s’étire à l’horizon, j’entame ma redescente… il est temps de rentrer !

Et mon genou dans tout ça (pour ceux qui suivent…) ? Super ! Tout semble rentré dans l’ordre : je m’en suis acheté un neuf. Enfin… fabriqué un. Grâce à Kevin Paulsen le kiné aux doigts de fée. Ou plutôt… armé d’un marteau-piqueur balançant 2000 coups de 4kg sur le tendon, 10 fois par seconde, jusqu’à exploser celui-ci, afin qu’il soit suffisamment agressé pour se regénérer tout seul… Barbare, mais ça marche !!!

Ça se présente mieux pour la Diagonale des Fous !!! Rendez-vous le 18 octobre !

Petite vidéo de ma double ascension :

fujismall

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • 26 septembre 2012

    excellent !!! comme d’habitude merci !! content que ton genou va mieux j’adore la musique de la video !!! a plus jé

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    • Jphi

      27 septembre 2012

      Merci Jé ! Ouais je suis content pour le genou ça fait 3 mois quand même ça commençait à bien faire… J’espère que c’est bon et qu’il va tenir à la Réunion ! J’irai cool quand même… A+ man

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  • Fred de Chile

    26 septembre 2012

    Salut méc ….
    Oh j’ai super aimé…d’abord le lire puis ensuite la vidéo… c’est vrai que la musique fait vibrer !
    J’avais tellement entendu parlé du mont Fuji par les naviguants que c’est super de voir ca en image !
    merci bcp de nous partager cette belle aventure …
    Au plaisir de te revoir sur Stgo !
    Un fuerte abrazo !

    Fréd

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    • Jphi

      27 septembre 2012

      Salut Fredo ! Comme tu dis le Fuji c’est une légende ! Mais bon pour toi c’est une colline, rien de plus, la Cordillère c’est plus sérieux… D’ailleurs il me tarde de la revoir, et toi aussi, va falloir qu’on se fasse un pti sommet un de ces 4 !

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      • Fred de Chile

        28 septembre 2012

        Jphi,
        Ce serait avec grand plaisir !
        A tes DDA !
        Tiens moi au jus
        La biz

  • Bruno

    29 septembre 2012

    Salut Jean-phi,
    Toujours aussi admiratif de tes performances et de tes réalisations (photos, films, commentaires).
    Ça donne envie même pour un océan’s addict comme moi.
    J espère que l on se reverra bientôt
    Adesias et poutous

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    • 4 octobre 2012

      Hey Bruno! Content de te voir ici! Bon c’est sûr qu’il y a plus de dénivelé que sur l’océan mais vu comme tu traces en planche j’ai autant d’admiration voire plus!! Si tu viens faire le Fuji j’irai tirer un bord dans la baie avec toi..

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  • 4 octobre 2012

    Et les ours alors???
    Superbe récit pour un sacré entraînement. Quelle chance tu as de pouvoir t’entraîner dans des coins comme ça!
    Et puisque le genou va mieux, le GRR ne sera que « piece of cake »!

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    • 4 octobre 2012

      Merci Alex! Pour le genou j’ai crié victoire un peu tôt… Quelques soucis hier.. Il va falloir encore une fois que je parte prudemment sur ce GRR…
      À bientôt! Peut être à Cham s’il fait beau, ou pour un tour de tuk-tuk à Bombay…

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