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J’ai prévu de profiter d’un séjour de 48 heures à Pékin pour aller user mes runnings sur un sentier mythique. J’emporte mon duvet et quelques provisions, en vue de passer une nuit à la belle étoile sur la Grande Muraille. Malheureusement, un retard avion de 9h modifiera quelque peu mes plans, puisque j’arrive dans la capitale chinoise à 3h du matin au lieu de l’après-midi, compromettant ainsi ma nuit… Deux problèmes majeurs se posent alors.

Tout d’abord, trouver un chauffeur à cette heure avancée. En effet, vu le temps qu’il me reste, il n’est pas possible d’attendre le départ du premier bus chinois (6h30) qui m’amènerait après plusieurs changements au pied de la muraille en fin de matinée. Avec l’aide d’un concierge chinois, après avoir réveillé par téléphone une demi-douzaine de chauffeurs, j’en trouve enfin un qui accepte de partir à 4h du matin, et qui surtout semble connaître ma destination : Xizhazi. En effet ce village est éloigné des destinations touristiques habituelles.

Deuxième problème, toujours lié au retard accumulé : il me reste moins de 36h, aussi je n’ai pas le temps de dormir pour me reposer du voyage. Je dois partir sans fermer l’oeil, pour une balade qui est évaluée selon les forums de discussions à deux jours de marche, dans un environnement dangereux qui demande une attention de tous les instants, et je dois être de retour à Pékin dans la soirée… On a vu mieux comme conditions…

Bref, je prépare activement mes affaires, empoigne mon sac et fourre mes infos écrites en chinois au fond de ma poche, et descends rejoindre mon chauffeur aux yeux rougis par son réveil en fanfare…

Deux heures de route nous emmènent à Xizhazi, petit village perdu au fond d’une vallée. Mon chauffeur est guide de la Grande Muraille depuis 20 ans. Il m’avoue que c’est la première fois qu’il se rend ici. Effectivement, peu nombreux sont les touristes à se rendre à Jiankou, car cette portion de la Grande Muraille est la plus escarpée et la plus dangereuse de toute la muraille (enfin d’après les forums).

Mon guide me dépose à Xizhazi, puis repart vers Mutyaniu, but de mon voyage (il parcourra 60km, pour la petite histoire, j’en ferai beaucoup moins à pied).

Pour l’heure, à 6h du matin, me voici au pied de la muraille. Enfin. Je voulais profiter du lever du soleil mais celui-ci restera caché derrière un voile de nuages tenace. Dommage pour les photos.

On s’aperçoit tout de suite qu’elle n’est pas faite du même matériau qu’à Simatai (ma dernière balade sur la muraille, en 2008). En effet, elle est bâtie avec les moyens locaux : briques et surtout dolomite qui lui donne cet aspect blanc.

Dès qu’on pose pied sur son dos, la muraille se cambre. Ça ne va pas être de tout repos : en me dévissant le cou, j’aperçois mon premier objectif, Bei Jing Jié, ou Beijing Knot.

Cette portion de muraille a été érigée essentiellement pendant la dynastie Ming, en gros au XVè siècle, parfois sur des vestiges de muraille datant de la dynastie Tang (600-900!) Ce qui explique pourquoi les arbres ont eu amplement le temps de pousser sur le mur…

Là, ça ne rigole plus. La pente se fait raide. Premier contact avec le dos de la muraille.

On s’aperçoit tout de suite que le temps a fait des dégâts. Le sol n’est qu’un amoncellement de pierres jetées pêle-mêle au bas de la pente par le vent et la pluie.

La muraille ne contourne pas les montagnes. Elle les épouse. La pierre se couche sur la courbe du sol, les briques embrassent la pierre. La Grande Muraille se déroule.

À mi-pente, en me retournant, j’admire d’ailleurs le ruban de pierre blanche négligemment jeté sur les collines chinoises.

Je poursuis mon ascension, on aperçoit tout là-haut Beijing Knot, knot signifiant noeud, c’est-à-dire carrefour. En effet trois murailles quittent la tour : une vers le nord, d’où je viens, une vers l’ouest vers Xiangshuihu, et la troisième que je vais suivre, vers l’est et Jiankou.

La pente est de près de 80 degrés. C’est plus une échelle qu’un escalier. Et encore, à l’emplacement de la photo j’ai profité d’un petit replat. En dehors de ces cassures de pente, essayez de vous redresser et le vertige vous assaille, vous empoignant les reins pour vous tirer en arrière dans le vide…

Je passe Beijingjie, bifurque vers l’est. Petit air de cité perdue.

Après la montée éreintante, je me refais une santé sur le plat. Car je sais que d’autres difficultés m’attendent, et pas des moindres.

Parfois, la muraille s’arrête, tout bonnement. L’érosion a fait son travail et a emporté des pans entiers de mur. Pas le choix : il faut escalader.

De l’autre côté de la colline, la vue s’évase sur la muraille blanche. Dommage qu’il n’y ait pas de soleil, elle resplendirait dans la lumière du matin. Voici Ying Fei Dao Yang, l’Aigle Volant vers le Haut. Le Chinois a le verbe imagé.

Il faut avouer, en observant la pente, qu’on a du mal à imaginer qu’autre chose qu’un aigle puisse arriver là-haut. D’autant plus aujourd’hui où un pan de muraille s’est effondré, rendant l’ascension extrêmement périlleuse.

Les prises étant instables, je préfère abandonner l’escalade, quitter le mur, et grimper le long de la roche naturelle, plus saine. J’arrive sain et sauf à Ying Fei Dao Yang.

Mais comme le dit si bien le proverbe chinois : « tout ce qui monte doit redescendre ». Dès que je pose le pied sur le sommet de la montagne, le mur redescend de l’autre côté. Pardon : retombe. Car c’est bien de cela dont il s’agit. La muraille dévale le flanc vertical le long d’une pente que les Chinois ont appelé Tian Ti, l’Escalier Céleste. Il dévale si fort et les marches sont si étroites qu’il vaut mieux le descendre à l’envers, dos à la pente, la pointe des pieds sur les marches. Non seulement je me demande comment les gardes de la muraille, à l’époque, l’empruntaient, mais aussi comment les maçons avaient pu le bâtir !
Sur la vue suivante, Tian Ti vu d’en bas.

Le même Escalier Céleste, pris de plus loin sur la muraille (gauche de la photo) : appréciez la pente…

En contrebas, les vallées chinoises, dont la Vallée du Buddha Accroupi.

Au loin, sur les crêtes : Jiankou. Mais on n’y est pas encore.

Une fois encore je profite d’un répit de la pente pour trottiner doucement et profiter de l’atmosphère particulière des lieux. La Chine antique palpite encore ici, je m’en imprègne. Nous sommes dans la passe de Jiang Jun Shou Guan.

Il n’y a personne sur cette muraille ; les milliers de touristes piétinent à Mutianyu, fin de mon périple, et j’ai bien le temps de les y retrouver. Alors je profite, en bon solitaire, de la magie des lieux. J’aime cette Chine d’hier.

Alors je ne cours pas et je me promène doucement à travers les dynasties…

Enfin, devant moi : Jiankou.

Mais je dois d’abord rejoindre la passe qui précède les hauteurs de Jiankou.

De ce petit col barré d’une autoroute de pierre s’éloignent deux chemins qui descendent dans les vallées. L’un au sud vers le village de Wo Fo Shan Zhuang, et un autre vers le nord, retournant vers Xizhazi. Il est dit dans les forums parlant de Jiankou qu’il est fortement conseillé de descendre par ce sentier nord qui rejoint la route quelques kilomètres plus loin, de suivre celle-ci puis d’emprunter un deuxième sentier qui remonte alors sur la muraille plus vers l’est, permettant ainsi d’éviter les passages périlleux de Jiankou.

En effet, on monte à Jiankou, puis on redescend. D’un côté, ou de l’autre, c’est selon. Mais on ne traverse pas Jiankou. Je monte, en me disant qu’une fois arrivé sur place j’aviserai si je tente le passage, ou si je redescends pour emprunter la voie de la sagesse et son détour de 3 kilomètres.

Jiankou signifie Encoche de Flèche. Car la crête épousée par la muraille est en V.

On le devine ici : faille entre deux éperons, Jiankou ne se laissera pas franchir ainsi !

Avant de descendre vers mon destin, je me retourne pour apprécier le chemin parcouru. Mon regard tombe sur l’Escalier Céleste, comme un sombre présage, et je me dis que je ne suis pas prêt à emprunter un quelconque raccourci vers le Ciel : j’ai le choix, et décide de le conserver jusqu’au bout, quitte à rebrousser chemin comme j’ai pu le faire par le passé. Je veux juste voir à quoi ressemble cette fameuse difficulté.

La muraille colle au relief comme un ruban tombé du ciel. On se demande parfois l’intérêt de bâtir des créneaux dans ces endroits escarpés où seul l’accès difficile suffirait à décourager l’assaillant. J’imagine le nombre de Chinois qui ont dû trouver la mort en bâtissant cette muraille. On parle de 2 à 3 millions de morts cumulés sur ces 800 ans de construction !

Jiankou est plus ou moins interdit par les autorités en raison de la dangerosité du terrain : pas si technique que cela, mais la chute ne pardonne pas. Ce n’est pas une promenade accessible au premier touriste venu.

Voilà. Il va falloir escalader ce mur. Comme la muraille est tombée, il ne reste que la pierre nue.

L’escalade n’est pas difficile, il faut juste faire abstraction du vide, et allonger un peu les membres pour faire la liaison entre quelques prises un peu éloignées… Arrivé en haut, je m’extirpe du vide face à trois paires d’yeux bridés un peu étonnés de me voir : des trekkeurs chinois sont bloqués là dans leur balade, au bord du précipice, forcés à faire demi-tour car incapables de descendre la paroi. Ils auront bien observé ma progression, mais il est certes plus difficile de désescalader un mur que de monter…

Du sommet de Jiankou vaincu, je me délecte de la vue sur l’Encoche de Flèche.

Je passe la dernière et la plus haute tour, Zhengbeilou, puis la pente se radoucit un peu, les roches deviennent éparses et cèdent la place à un maquis moins abrupt.

Devant moi la muraille monte à l’assaut d’une dernière colline avant de la redescendre sur le même versant. C’est à se demander pourquoi un tel virage alors qu’elle aurait pu tracer tout droit. Mais on l’aura compris, la muraille nargue les sommets. Ce virage à 180° du mur porte le nom de Niu Jiao Bian, la Corne de Boeuf, car c’est bien une corne qui est dessinée là.

Cela m’occasionnera 100m de dénivelé en plus, on ne va pas s’en plaindre. La Corne franchie, je commence à croiser du monde. Il faut dire qu’on se rapproche du monde civilisé : la muraille elle-même est en meilleur état.

Plus on se rapproche de Mutianyu, plus la muraille rajeunit. On remonte le temps, on passe du XIVème siècle (Jiankou a été contruite en 1368) au XXIème en un ou deux kilomètres.

Les Chinois appellent la muraille le « Mur des Dix Mille Li » ou ChangCheng qui signifie Longue Muraille. Le Li est une mesure de distance, qui a considérablement varié avec le temps mais qui représente en gros 500m. Le mur mesurerait donc 5000km. Une estimation récente donne plus de 8000km dont 2000km de barrière naturelle. Il reste donc 6000km de mur !

Allez encore un petit rafraîchissement,

et on atterrit soudain en 2012. La Chine d’aujourd’hui me saute au visage. Agression visuelle et sonore.

Je fais désormais la queue aux escaliers ; quand je cours les gens me regardent héberlués et je les surprends à regarder derrière moi cherchant des yeux un éventuel poursuivant.

Je file le long de cette fausse muraille qui, encore heureuse d’être encore en pierre alors qu’elle aurait pu être en plastique, m’aura guidé à travers les montagnes de Jiankou. Je retrouve mon chauffeur qui faisait la sieste sous un arbre (il fallait qu’il se remette de son réveil matinal le pauvre), et rentre sur Pékin dormir à mon tour (enfin).

Mon dernier regard à la muraille aura été pour celle de 2012, mais tandis que ma tête dodelinait dans le taxi, c’est celle-ci qui dansait devant mes yeux :

Voici une petite vidéo qui, pour les courageux qui la regarderont jusqu’au bout, contient une prise de vue assez intéressante…

https://vimeo.com/41317251

et les photos HD de ma sortie : Jiankou.

Jiankou-small

Se rendre à Xizhazi en taxi avec un chauffeur (2h de Pékin).
De là, monter sur Beijing Knot (trace GPS jointe) faire la ligne complète jusqu’à Mutianyu demande dans les 6 heures environ. Attention, passage technique (escalade de plusieurs mètres sur falaise avec chute de 10m possible) avant Sharp North Tower. Récupération par chauffeur à Mutianyu. L’autre possibilité est de faire une boucle simple avec retour sur Xizhazi (trace GPS jointe).
Entrée 20 yuans.
Tarif chauffeur 600 yuans pour Xizhazi A/R ou 800 si récupération à Mutianyu. Demander au chauffeur Zhang Cheun Wei au 13901179917 il connaît (maintenant ) la route
Diverses cartes de Jiankou Great Wall ici.
Attention il y a beaucoup de passages assez techniques, il ne faut pas avoir le vertige, et là-haut vous serez seul (le téléphone passe).

DOWNLOAD GPS TRACK (JIANKOU-MUTIANYU complete)
DOWNLOAD GPS TRACK (JIANKOU circle around Xizhazi)

 

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • Tat

    2 mai 2012

    J ai bien lu jusqu ‘au bout avec admiration mais je me demande encore ou tu trouves le courage et la force physique pour effectuer de telles « petites randonnées » . Merci pour nous qui ,grâce à toi,pouvons admirer de telles beautés sans nous déplacer !!

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    • Jphi

      4 mai 2012

      Merci Tat ! Tu sais le courage et la force, quand tu as la chance d’aller te balader dans des endroits pareils, ça vient tout seul !!!

      reply...
  • 2 mai 2012

    Thanks for this excellent story!

    reply...
    • Jphi

      4 mai 2012

      Thank you Bryan, and also the guys of great wall forum who provided useful tips !

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  • Patrick

    3 mai 2012

    En 221 av J-C sous l’égide de la dynastie Quin, l’empereur Quin Shi Huangdi convoque le General Xuan Phi Meng Tian.
    -Schnell Xuan Phi, au pied !
    -Voilà, voilà mon Empereur.
    – Demain tu décolles vers le nord, tu repousses ces chiens de Xiongnu dans leurs niches et tu construis une muraille pour qu’ils n’en sortent plus; arbeit !!
    -Houlà, mais c’est que ca m’arrange pas tout ca , j’ai mon dernier en route et l’Utmb à préparer.
    -Quin décolle légérement du sol et montre à Xuan Phi le tableau illustré des réjouissances corporelles reservées aux récalcitrants.
    -Ok c’est parti.
    Xuan Phi s’éxécutera mais pensant à la douce Lai-Ti il supplie les dieux de maudire Quin-Shi.

    Quelques siecles plus tard, le 27 Avril 2012, Quin Shi condamné à remonter éternellement l’ensemble des murailles de Chine voit arriver vers lui un homme courant sur l’édifice.
    Il reconnait le descendant de Xuan-Phi; Jean Phi et le supplie d’annuler la malédiction , celui ci bon prince acquiesce et Quin disparait dans les limbes en virevoltant: Sayonara !
    Le coeur léger (et le bagage mince) notre runner continue son chemin se demandant ce qu’il allait bien pouvoir inventer la prochaine fois !!!

    See you.

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    • Jphi

      4 mai 2012

      您的意见总是滑稽可笑!我喜欢它!你写的故事在我的地方,我会写的评论…
      很快见到你我的朋友!

      Xuan Phi

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  • Patrick

    4 mai 2012

    Surtout pas !

    千花你的房子

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  • kelek

    15 mai 2012

    tu viens de me faire rêver un grand coup ! merci à toi !

    reply...
    • Jphi

      16 mai 2012

      Objectif atteint, alors… top !

      reply...
  • macfly

    4 juin 2012

    j’en ai encore le souffle coupé ce soir j’avais décidé de me poser pour regarder tout cela calmement…..Pour le géographe de formation que je suis le plaisir est d’autant plus intense…Tout comme toi je ne supporte pas trop les restaurations et préfére les pierres d’origines qui portent encore en elles les stigmates et te racontent leur histoire. Je suis encore une fois ému devant de telles images…..Alors encore une fois merci de nous faire partager ces rares moments et chapeau bas pour l’exploit sportif.
    a bientôt
    Jérôme

    reply...
    • 5 juin 2012

      Hello Jérôme ! Content que ça t’ait plu ! Si tu aimes les vieilles pierres, attend un peu mon prochain article, tu devrais être comblé : 500 photos à trier… en ligne d’ici quelques jours !!!

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  • 22 août 2013

    So amazing!! Thank you so much for sharing your story!

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  • 1 septembre 2013

    Bonjour !

    Super ta randonnée !
    Mon mari et moi on aimerait faire la même car Simatai est fermée.
    J’ai 2 questions :
    – ça t’a couté combien le taxi ?
    – tu as mis combien de temps pour faire la rando ?

    Encore bravo !

    reply...
    • Jphi

      2 septembre 2013

      Salut,

      tu as toutes les infos en bas d’article, il suffit de cliquer sur l’un des boutons, ou bien fermer l’encart via la croix si vous ne souhaitez pas « partager »…
      J’ai bouclé le tout en 5h je crois, mais je suis entraîné… La petite boucle se fait en 3h. (les 2 traces GPS sont dispos dans l’encart TIPS)
      Attention cependant je vous mets en garde la balade est un peu engagée ! Quelques portions d’escalade.

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  • 29 septembre 2013

    De retour de Jiankou. J’ai fait un peu plus court que le circuit ici décrit par JPhi. Une belle escapade : http://cauteretstrails.wordpress.com/2013/09/29/un-petit-tour-sur-la-muraille/#more-1875

    Merci JPhi pour les infos et ce beau blog!

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  • 31 août 2014

    Bravo et merci pour ce magnifique partage

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  • 26 août 2015

    Just found your video thru a friend who shared it on Facebook.
    We do a hike almost every month on the Great Wall and Jiankou was the last one of the season we did in June (2015). It was actually an overnight hike… The weather couldn’t have been better. The best I’ve ever seen during our hikes. Here are some pictures: http://atotaltaitaitale.tumblr.com/tagged/BeijingPashan

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