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On se souvient, bien sûr, de ma sortie dans le Seorak, en Corée du Sud, en cette fin d’hiver… (pour ceux qui ne se souviennent pas : c’était là) où la neige et les Rangers avaient raccourci ma sortie et empêché d’aller m’égailler sur les ridges coréens… Je suis donc de retour en ce début juin, bien décidé à boucler mon tour.

Me voici donc à Sokcho, sur la côte est, pour la deuxième fois. Deux mois plus tôt, je portais plusieurs couches pour résister au vent glacé qui descendait des montagnes. Là, mon t-shirt est de trop, il fait dans les 30°C… J’avale le même kimchi que la dernière fois, et me mets au lit vers 19H, le décalage horaire, la nuit blanche et les 3h de bus ayant eu facilement raison de moi.

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  Le lendemain matin, réveillé avant le soleil, je lève la tête vers les étoiles mais la rentre illico dans mes épaules : le mauvais sort s’acharne sur moi, c’est clair maintenant : je suis un vrai chat noir. Noir comme le ciel sans étoiles, couvert d’une chape de plomb. Tant pis je me dirige résigné vers le pied des montagnes, et quand le soleil se lève à son tour c’est pour me confirmer qu’une grisaille morne, chaude et humide, s’est invitée une fois de plus pour ma sortie.

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Que voulez-vous que je vous dise ? Les nuages m’aiment.

Seoraksan

 Ils me collent à la peau, au sens propre comme au figuré : je me retrouve assez vite complètement trempé, les gouttelettes en suspension sont si grosses que je me demande comment elles font pour rester en l’air ! On peut les voir, flotter devant mon nez, au gré du courant d’air qui s’emploie à en badigeoner les feuilles des arbres, les parois rocheuses qui finissent par dégouliner. Puis, à force de monter, monter, je me rapproche du soleil et finis par l’apercevoir à travers la brume ! L’espoir renaît soudain !

Seoraksan

Je hâte le pas car je me dis que finalement le mauvais sort météorologique ne s’acharnera peut-être pas une journée de plus ! Et bientôt, j’atteins la surface de cette mer de nuages.

Seoraksan

Celle-ci est agitée, pleine de remous, de turbulences vaporeuses. Un aileron gigantesque fend la brume. Serait-ce déjà mon dinosaure, tapi sous les nuées, trahi par sa dorsale saillante ?

Seoraksan

Et devant moi s’étale mon objectif : Gongnyong Ridge. Gongnyong signifie Dinosaure, et je vais courir sur son dos…

Seoraksan

Gongnyong Ridge

 Le soleil de 7h me caresse le mien… comme ce n’était pas vraiment prévu, c’est encore plus plaisant ! (Pour l’instant, car bientôt sa caresse se transformera en morsure…)

Seoraksan

Tandis que la vallée reste enfermée sous son couvercle de nuages, je me hisse petit à petit sur les contreforts de Gongnyong ; en d’autres mots je me rapproche avec prudence des flancs du dinosaure endormi, pour pouvoir lui grimper sur le dos.

Dinosaur Ridge

Me voilà sur sa hanche ; je pourrais presque sentir ses flancs se soulever avec sa respiration.

Dinosaur Ridge

Le voilà, le dos de dinosaure. L’échine hérissée de pics, d’écailles, comme on voudra. Le grand Stégosaure est assoupi et je vais en profiter pour aller jouer entre ses dorsales.

Dinosaur Ridge

Dinosaure Ridge

Le sentier n’est pas facile, c’est de la rocaille, avec parfois des cordes ou des rambardes en fer lorsque la pente est trop forte.

Seoraksan

Seoraksan

Dinosaur Ridge

Il fait de plus en plus chaud et le terrain n’est pas très praticable. Il est coté « noir » sur les topos coréens (même si ce n’est quand même pas de l’escalade) car il y a beaucoup d’escaliers, des rocailles en guise de marches, et n’est qu’une succession de pentes, qui montent ou qui descendent, le long des dents de scie du dos de dinosaure.

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Et oui, on parle du dos de dinosaure, mais on devrait dire mâchoire, car on a plus l’impression de se balader à l’intérieur de la mandibule hérissée des crocs d’un T-Rex que sur les reins dociles d’un Brontosaure

Dinosaur Ridge

Dinosaur Ridge

Je descends le long des roches saillantes, serpente sur l’échine acérée de Gongnyong.

Gongnyong

Gongnyong

Puis au bout d’un moment, je suis arrivé au terme. J’ai traversé. Derrière moi, l’arête hérissée de crocs. Il ne me reste plus qu’à poursuivre sur l’épaulement pour quitter mon dos de dinosaure, et me hisser sur le Daecheongbong, 1708m, troisième plus haut sommet de la Corée. De là-haut, je contemple un refuge qui me tend les bras : une sieste s’impose ! Il est midi, et en France il n’est que 5h du matin, je suis donc physiologiquement en fin de nuit blanche et la lassitude me tombe dessus… pourquoi ne pas en profiter ?

Daecheongbong

Il y a plusieurs dizaines de randonneurs coréens déjà affairés à déballer leurs affaires pour se restaurer. Je fais de même. C’est-à-dire que je sors une barre de céréales de mon petit sac à dos tandis qu’eux-mêmes, sourire bouddhiste aux lèvres, dézippent leurs sacs d’expédition et en extirpent boites en tous genres, casseroles, réchauds, plaques de métal. J’engouffre ma barre en 7 secondes chrono. Ça y est, j’ai déjeuné. Je n’ai pas le courage d’attendre plus longtemps pour les regarder préparer leur popote ; je m’allonge sur une planche de bois, mets mon chapeau sur les yeux et m’endors sous le soleil.

Mais un délicieux fumet ne tarde pas à me sortir de ma sieste : les randonneurs font griller de la poitrine de porc sur leur brasero ! Les Coréens ne rigolent pas ; leur pique-nique est constitué de plats mijotés au préalable à la maison, et ils jettent sur leur barbecue tout ce qu’ils ont emmené jusqu’ici… viande, poisson, légumes, bacon… J’en salive ! La bave aux lèvres, je préfère me retirer, et j’ai du chemin à faire ! Je me redresse, rassemble mes maigres affaires et alors que j’allais prendre congé, un Coréen accompagné de son fils vient me saluer à force courbettes et me propose une poignée de tomates-cerises. Je refuse poliment dans un premier temps mais devant son insistance je finis par rafler les tomates en le remerciant. Il a du avoir pitié de moi !

Allez, il est temps de repartir. Je rejoins l’épaulement qui mène à la dorsale reptilienne, mais je n’envisage toutefois pas de rentrer par le même chemin.

Dinosaur Ridge

Je quitte Dinosaur Ridge pour descendre au fond de la vallée, de façon à en faire le tour et rentrer au point de départ en dessinant une boucle. Après l’arête aérienne, la vallée encaissée et ses forêts profondes…

Seoraksan

 Tandis que je descends, une rumeur monte des profondeurs vertes. J’hallucine ou quoi ? Des chants psalmodiés se font de plus en plus clairs, ponctués du son net d’une cloche de bronze. Je pense tout de suite à un temple, mais dans ces montagnes !? Très vite la réalité me donne raison. Le toit bleu-vert d’un temple, puis d’un autre, émerge du feuillage.

Bongjeong-am Hermitage

 

Bongjeong-am Hermitage

Nous sommes à Bongjeong-am, temple bouddhique, parmi les huit plus élevés de Corée (nous sommes encore à 1250m d’altitude).

Bongjeong-am Hermitage

Il date tout de même du VIIème siècle !

Bongjeong-am Hermitage

La légende dit que le Maître Jajang a suivi un phénix dans la montagne, et qu’il a enfoui une relique à l’endroit précis où le phénix s’est posé.

Bongjeong-am Hermitage

Bongjeong-am Hermitage

Cette relique, authentique relique du Bouddha historique Shākyamuni, qui lui avait été donnée en Chine par Manjusri (Bodhisattva de la Sagesse) avec quatre autres, est toujours enfouie ici, dans le coeur de pierre de cette pagode. La preuve : celle-ci est gardée par un guerrier hors-normes.

Pagoda

Je préfère ne pas m’attirer le courroux de l’écureuil magique ; je continue ma descente dans la vallée, m’enfonçant plus profondément dans la forêt, je suis une rivière un bon moment avant de la traverser et de grimper sur le versant opposé afin de regagner de l’altitude, de la fraîcheur salvatrice et le col de Madeungryeong. Là, je retrouve mon dos de Dinosaure, éclairé par le soleil déclinant.

Dinosaur Ridge

Ma boucle est bouclée. Je suis revenu à mon point de départ, je n’ai plus qu’à redescendre à Sokcho, avaler une portion de kimchi en vitesse, puis trouver une place dans un bus en partance pour Séoul…

Ah, et pour ceux qui se demandent si j’ai revu mon Ranger de la dernière fois : et bien non ; quand je suis arrivé au refuge en question, le silence et la solitude hivernale des lieux avait été remplacée par une foule compacte de randonneurs agglutinés autour de tables de pique-nique, vociférant, riant à tue-tête, abandonnant canettes et papiers gras, leurs adolescents jetant des pierres aux écureuils. Je n’invente rien, et pour conclure je me suis enfui vers les hauteurs, probablement comme l’a fait le Ranger le jour même de l’ouverture du parc.

dinosaur_ridge-med

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • franca

    17 juin 2013

    Sublimes photos.

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    • Jphi

      18 juin 2013

      Merci Franca !

      reply...
  • 18 juin 2013

    Finalement, tu auras eu raison de ce mauvais sort qui attirait le mauvais temps sur toi :-). J’espère que tu as pu apprécier à ton retour un vrai barbecue coréen. De belles images des temples bouddhistes toujours très décorés de couleurs vives, spécificité coréenne aussi.

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  • Jphi

    18 juin 2013

    T’as raison pour le mauvais sort météorologique… j’ai eu de la chance cette fois-ci, pourvu que ça dure encore un peu !! (jusqu’à fin octobre pour la Réunion ce serait bien) !

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  • Lafan

    27 juin 2013

    Merci pour les nouvelles du ranger! Je me posais justement la question…
    Sinon, merci pour ce magnifique récit…il m’arrive de ne pas regarder les photos tellement la lecture est passionnante !
    …mais je reviens regarder les photos quand même! Surtout les belles couleurs des temples qui sautent aux yeux…
    Merci ….

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    • Jphi

      1 juillet 2013

      Merci Lafan ! Tu me motives pour la suite !

      reply...
  • Tat

    1 juillet 2013

    Pas sûr que les brontosaures aient eu les reins si dociles que ça!! Il ne t’arrive pas d’avoir un peu peur dans ces immensités terribles non puisque tu y retournes pour notre plus grand plaisir ! C’est grandiose et les coréens ont l’air sympas puisqu’ils t’ont offert des tomates cerises. Tu n’as pas rencontré Psy?

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