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Qui dit Osaka dit Kyoto. Qui dit Kyoto dit temples ; mais aussi collines et forêts. Je profite du beau temps pour aller me dérouiller un peu dans les bois japonais, et en même temps faire un peu de tourisme : allier le sport à la culture, que faire de mieux au Japon ?

J’emprunte un train (enfin, quatre) pour rallier Kyoto puis Sakamoto sur les bords du lac Biwa, et me voici au pied du mont Hiei sur le coup des 10 heures.

Pour le côté culture, ce n’est pas tout de suite ce à quoi je m’attendais…

J’entame mon ascension, avec une vue sur le lac et la ville d’Otsukyo. En fait c’est assez difficile de savoir quelle ville est où, car toutes se touchent, et on peut aller de Sakamoto à Osaka de quartier en quartier. Les unes sont les banlieues des autres…

La forêt est habitée, comme toutes les forêts japonaises… Les esprits kami sont partout, on leur donne à boire et à manger.

Plus haut, un hokora, sanctuaire shinto miniature dressé dans la forêt pour consacrer un kami, voire un dōsojin, « kami de la route », censé protéger les voyageurs contre les mauvais esprits. En arrière-plan, on aperçoit un tōrō : une lanterne de pierre, peut-être pour annoncer le sommet aux promeneurs de la nuit. Déjà, on entend le dong caractéristique des monastères résonner dans la forêt.

D’ailleurs puisqu’on en parlait voilà un vrai dōsojin,  caractéristique. J’espère qu’il me protégera, car même si je cours, je suis somme toute un voyageur…

dōsojin

Puis j’arrive aux portes d’un lieu sacré : les stupas de Hieizan Enryakuji. Ici le Kaidan-in, construit en l’an 828.

Un Shōrō abrite une énorme cloche en bronze dont le gong résonne dans toute la vallée. Je pensais que seuls les moines avaient le droit de saisir la corde et de précipiter le tronc d’arbre sur la cloche mais ceux que j’ai vu sonner le bourdon étaient plutôt des touristes… Mais qu’importe, l’impression de se promener en des lieux sacrés est garantie.

C’est dans cette atmosphère spirituelle qu’on entre à Hokke So Ji-in, un Dojo du Bouddhisme Tantrique. Un temple d’importance. Pas étonnant vue l’atmosphère des lieux : cette cloche lancinante, cette montagne imposante, le « Fuji de Kyoto », font que l’endroit est un emplacement naturel pour bâtir un temple. On remarquera la forme générale qui n’a rien de particulièrement japonais : on pourrait se croire en Chine. C’est d’ailleurs bien de Chine que provient l’influence architecturale des temples bouddhistes, avec une telle régularité d’ailleurs qu’on retrouve les styles des six dynasties chinoises.

Je ne suis pas assez spécialiste pour faire la différence entre un temple bouddhiste et un sanctuaire shinto, mais quelques détails ne trompent pas et rattrapent le manque de culture. Voici un Buddha qui marque son territoire.

Bouddha

Je poursuis sur les crêtes de la montagne, qui est quasi sacrée : le mont Hiei a la bonne réputation de défendre la ville de Kyoto contre les esprits mauvais de par son orientation et sa configuration.

Mt Hiei

C’est pour cela que le temple d’Enryakuji a été bâti ici, selon les préceptes de la géomancie chinoise : les alignements et la géographie des lieux jouent un rôle aussi important que la disposition elle-même des temples. Le lieu est sacré avant même qu’on y édifie des sanctuaires Bouddhistes ou Shintoïstes. Vous suivez ?

Mt Hiei

Mt Hiei

La neige est tombée pendant la nuit et le froid glacial qui règne ici, à 700m d’altitude, dissipe les efforts timides du soleil. Je ne m’attarde pas, pour les explications sur les religions japonaises, on verra plus tard…

Mt Hiei

Le sentier traverse des cimetières, qui n’ont rien à envier aux nôtres : une pierre tombale reste une pierre tombale, ici ou là, et seuls les signes qui y sont gravés différencient ces morts des nôtres.

Mt Hiei

On parvient à un torii dont j’ai déjà parlé précédemment, lors de mon ascension du Fuji.

Torii : « Là où sont les oiseaux« … Là, pour le coup, on est plutôt en territoire shinto.

Torii

Alors… Shintoïsme ? Bouddhisme ? Pour résumer succinctement, car quand on court on n’a pas trop le temps de s’attarder sinon on se refroidit, le shintoïsme, ou shinto, est la plus ancienne religion du Japon. Elle remonterait à plus de 600 ans avant JC, c’est-à-dire au début de la lignée de la famille impériale actuelle (qui soit dit en passant perdure ainsi depuis 2700 ans !), lorsque s’est établie une prédominance de certains dieux par rapport à d’autres, chaque tribu ayant les siens. Le shinto est ainsi un mélange de polythéisme et d’animisme, aux divinités surnaturelles qui vivent, meurent et renaissent, recouvrant toutes les facettes de la nature qui est sacrée. Dans le shinto, tout est divinité : un ruisseau, une pierre, un personnage, une simple notion, même.

Hiei

Puis le Bouddhisme est arrivé au Japon, au VIIème siècle de notre ère, et a été rapidement adopté et intégré à la religion japonaise, histoire d’impressionner les chinois par sa sophistication. Il a fallu légitimer le bouddhisme au sein du shintoïsme et donc inventer des explications pour que les religions soient crédibles et unifiées : un subtil mélange aujourd’hui difficile à démêler pour le profane a été tissé, et on trouve des temples bouddhistes possédant des espaces dédiés aux kamis, ceux-ci ayant un rôle de protection du bouddhisme pour permettre son enseignement compatissant, quand ils ne sont pas eux-mêmes des émanations des différents bouddhas et boddhisattvas.

Hiei

Bref, on tourne en rond dans le gravier. Je préfère m’enfoncer dans la forêt.

Mt Hiei

Comme je croise un autre Shōrō et qu’il n’y a personne, c’est à moi de faire résonner le bourdon ; je n’ai pas mesuré la force de l’impact du marteau (un tronc d’arbre mû par une corde), aussi je crois que j’entendais encore l’écho retentissant du GONG un kilomètre plus loin…

Shōrō

Puis je trottine un long moment sur un petit sentier en crête, qui épouse la courbe de la montagne, embrassant tous les sommets pour n’en manquer un seul, descendant dans les combes, tout droit, sans virage, comme s’il suivait une frontière, tel un ruban déroulé sur l’échine du mont Hiei. Je cours sur le sentier des moines-soldats.

Mt Hiei

Car Enryakuji, en plus d’être un immense complexe de temples (avec les temples secondaires, on pouvait en compter près de 3000 à son apogée), était aussi un bastion de moines-guerriers, les Sōhei. On appelait ceux d’Enryakuji les yama-hōshi, les « moines du Mont ». Assez puissants, ils se battaient contre d’autres temples rivaux, ou intervenaient dans des conflits politiques, n’hésitant pas à descendre sur Kyoto pour appuyer leurs demandes.

Mt Hiei

Les sōhei, l’équivalent en Europe des nos moines-soldats, Templiers, Hospitaliers et autres confréries du temps des croisades, étaient équipés un peu comme des samouraïs, portant un empilement de kimonos, blanc dessous et safran dessus, des chaussettes tabi et des geta (sandales de bois) et portaient parfois des armures. Armés d’un naginata (hallebarde), ou d’un taichi, ils étaient très habiles au tir à l’arc.

sohei

Et ils s’entrainaient aux arts martiaux, couraient pour acquérir une forme physique indéfectible. Ils couraient, sur les sentiers du mont Hiei, gravissant les pentes, se précipitant dans les descentes comme pour faire sus aux ennemis, trottinant dans les bois noirs, sabre suspendu au obi, l’arc de bambou dans le dos, leur bannière bouddhiste claquant au vent.

Mt Hiei

Je cours en plaçant mes pieds dans leurs empreintes estompées, mon sac me sciant les épaules comme jadis la corde de leur arc, courant avec bruit dans les feuilles mortes.

Mt Hiei

Tandis que je me jetais dans la pente, dévalant la montagne, les ombres des moines-guerriers à mes trousses, j’aurais juré les avoir clairement entendu chanter le Namu Amida Butsu.

Mt Hiei

Parvenu en bas, dans les forêts d’érable, je foule un tapis multicolore, passant du monde des sōhei du mont Hiei à celui des temples d’Ohara.

fleurs

Ohara est un petit village de montagne au nord de Kyoto,

Ohara

connu pour ses érables enflammés à l’automne,

Ohara

et pour son temple Sanzen-in.

Sanzen-in

Sanzen-in est un temple (bouddhiste, je précise puisque vous êtes devenus incollable), tendaï (ha ha !). Le tendaï, puisque vous demandez, est une école particulière du bouddhisme, appliquée sur le mont Hiei, qui est en désaccord avec les préceptes bouddhistes de Nara, à Kyoto.

Oui, je sais, encore de quoi faire des ronds dans le gravier.

Sanzen-in

Mais les jardins de Sanzen-in sont extraordinaires. Ils sont couverts de mousse, et en cette époque de l’année, de feuilles d’érable.

Sanzen-in

Sanzen-in

Des figures bouddhiques se promènent en ces lieux paisibles, et encouragent à la méditation. Ici, on est loin des sentiers d’entraînement des sōhei, hantés par les cliquetis de leurs armures, de leurs chants de combat, et du sifflement de leurs flèches entre les arbres noirs du mont Hiei. Nous sommes dans les jardins de Bouddha, le seul bruit que vous entendez est le battement sourd de votre sang contre vos tempes, et le froissement feutré des feuilles mortes se posant sur le sol moussu.

Sanzen-in

En passant près d’un tōrō (la fameuse lanterne de pierre dont j’ai déjà parlé), je remarque sur le sol des petits êtres qui me font des clins d’oeil.

Sanzen-in

Des statues de pierre soulèvent un coin de mousse et regardent le passant, goguenardes.

Sanzen-in

Des émanations facétieuses de Bouddha ? Des kami sortis de la forêt pour venir épier les vivants ?

Sanken-in

Qui peut le savoir ? Le Japon est un pays obscur et lumineux, comme le Yin et le Yang. Extrêmement difficile à déchiffrer. Mais tellement attachant…

Je quitte le village d’Ohara, emprunte un bus pour retourner sur Kyoto puis un train pour la ville survoltée d’Osaka. Je ferme les yeux, me bouche les oreilles, ne vois ni les enseignes clignotantes du quartier d’Electric City, ni les néons géants de Dotombori, je n’entends ni les vrombissements des voitures ni la musique des grands magasins de Shinsaibashi. Assis dans ma rame de métro, je ne ressens pas non plus les vibrations du train lancé à 100km/h entre les immeubles. Les yeux clos, je n’entends que le rire clair des petits êtres de la forêt. Je dois sans doute avoir à ce moment là un léger sourire sur mes lèvres. Autour de moi, les japonais assis sur leur banquette en feutrine immaculée ont le même.

Probablement un effet du bouddhisme.

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • Franca

    16 décembre 2012

    Je découvre cette partie du Japon que je ne connaissais pas ! Inutile de dire que je rêve de fouler à mon rythme, ces tapis de feuilles et de mousse. L’automne reste décidément ma période préférée pour découvrir ce pays ! Merci pour ces photos de rêve empruntent de poésie … Et de « zénitude » …

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    • Jphi

      17 décembre 2012

      Merci du compliment Franca ! Content de te faire découvrir des parties méconnues du Japon ! En fait c’est un peu ce que j’essaie de faire au fil des articles, fouler des paysages en dehors des circuits touristiques, mais dans de beaux endroits, ce qui n’est pas très facile : plus c’est beau plus c’est touristique, sauf quand c’est loin ou peu accessible… à bientôt pour la prochaine balade !

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  • 17 décembre 2012

    Hé oui, Kyoto et ses environs et pour moi l’un des plus beaux endroits du Japon. Magnifiques photos, paysages très zen. Mot que tu n’as pas employé une seule fois dans ton reportage. Même devant les jardins en gravier. Bizarre…

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    • Jphi

      17 décembre 2012

      Tu as raison, je n’en parle pas (Franca l’a presque fait pour moi); j’ai tenté de démêler le méconnu, en délaissant ce que tout le monde connait… mais aussi parce-que d’une part le zen est plus tardif et est justement issu du tendaï dont je parle plus haut, et auquel appartiennent Enryakuji et Sanzen-in.
      Mais au-delà de ça, je n’aime pas trop ces appellations de « jardins zen » car le zen est une branche bouddhiste, propre à la méditation, avec ces postures assises que tout le monde connait. Et effectivement des jardins existent dans des « temples zen », avec des graviers ratissés comme on a vu sur les photos, mais c’était en raison du manque d’eau, les vagues dessinées dans le gravier représentant justement les rivières qui manquaient. On les appelle plutôt des « jardins secs » et ne sont pas spécifiques à la religion zen. Pour moi le jardin zen est un abus de langage.
      Voilà, j’ai parlé du zen !

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  • 17 décembre 2012

    Woow tant de Beauté…

    « Je ne suis jamais allé au Japon, je n’entend rien au Shinto ou au Budo au Kabuki et au No.
    Mais l’idée que j’en ai m’est soufflée par ce vent entre moines soldats et héroïnes de manga.
    J’ai réécouté Moss Garden de Bowie et Eno et à la fin j’ai entendu ton coup de Shoro »

    Petit haiku maladroit pour te remercier du voyage Xuan !

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    • Jphi

      18 décembre 2012

      Joli haiku! Je parlerai du budo, du kabuki et du no lors de mes prochaines sorties japonaises…
      En attendant je t’offrirai, pour Noël, une paire de geta, tu pourras t’en servir en guise de tongues tu feras sensation… J’ai d’ailleurs aperçu un moine chaussé de ces geta, qui faisait le tour d’un temple en marchant sur un dévers boueux : ça n’avait pas l’air très évident, mais ça accrochait! À essayer lors d’un trail !
      Merci de votre visite, j’adore ça !

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  • 19 décembre 2012

    Merci d’avance J-Phi;

    Je vais enfin pouvoir me transformer en drag queen Japoniaise et fonder ma troupe de Kabuki trash !! mais comme je suis bonne fille, je te les prêterai entre deux représentations pour la diagonale des folles !!!

    Hey, encore une fois ; ces images sont fabuleuses ….

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    • Jphi

      21 décembre 2012

      mort de rire !

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  • 24 février 2013

    vraiment envoutant et magnifique

    merci

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  • Jphi

    26 février 2013

    cooool….

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  • Louisa want to play with you! Start play: https://cutt.us/3rCxx?h=713ac5a7a527f990f8d53d29673013e8-

    18 avril 2022

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