Après l’ascension, hier, du Mt Aorai sur l’île de Tahiti, lever à l’aube pour attraper le premier ferry en partance pour l’îlot d’en face, Moorea.
Dès qu’on s’approche des côtes, l’impression s’installe. Un peu comme hier, on a le sentiment d’accoster à Jurassic Park.
Dès le pied posé sur le sol de Moorea, le ton est donné : le relief est très particulier ; pas de doute, nous sommes sur une île volcanique comme sa grande soeur Tahiti.
Avant de m’enfoncer plus profondément dans les terres, un dernier regard en arrière, vers la mer, la plage, les bungalows paradisiaques. Le trail running est parfois un renoncement. Tourner le dos au délassement, encore une fois, pour aller s’embourber dans la jungle : allons ce n’est pas de l’algophilie, ni du dédain, c’est choisir un plaisir plutôt qu’un autre car oui, courir dans la jungle est un plaisir (!) et la plage sera remise à plus tard, promis…
J’ai prévu de faire un tour complet au cœur de l’île, et j’emprunte un sentier au départ d’un champ cultivé, menant tout droit à travers la végétation.
Pour se repérer, il suffit de lever la tête et d’azimuther, il y a des bornes plutôt évidentes.
Dès qu’on pénètre dans la forêt, les premiers Mapés apparaissent. Ce sont les fameux châtaigniers tahitiens, aux troncs étonnants, bardé de contreforts. On en reparlera plus loin car c’est un peu l’arbre à tout faire de l’île (chauffage, apéritif, teinture, pharmacie, communication…)
Plus on avance, plus la forêt se fait épaisse. La lumière du soleil arrive encore jusqu’au sol mais bientôt, ce ne sera plus le cas et il n’y aura plus assez de luminosité pour mon petit appareil photo de poche…
Les grands mornes qui me servaient de repère ne sont plus visibles à cause de la canopée ; quelques cairns sont disposés çà et là, au sol, pour rassurer le promeneur (c’est leur seul intérêt, rassurer, car ils n’ont aucune fonction de guide vu que le sentier est bien tracé dans la forêt et qu’il faudrait être très distrait pour se perdre.)
Bientôt on se met à monter. De plus en plus fort. La pente se fait prononcée, la forêt se penche pour ne pas glisser en bas. Je m’aide des troncs et des lianes pour me hisser, les racines se font marches, puis les grands arbres abandonnent les premiers, ne pouvant plus pousser sur ces pentes improbables. Ce qui fait que le ciel se dégage, dévoilant ce vers quoi je me dirige : le fond de la cuvette, infranchissable.
De là, s’ouvre une vue sur Moorea : une grande plaine entourée de montagnes aiguisées, comme une mâchoire ; je me tiens debout sur la langue, tandis que les crocs acérés interdisent toute échappatoire.
En effet, l’île de Moorea, comme sa grande sœur Tahiti, est une île volcanique. Et je me promène tout simplement dans la caldeira, au centre du cratère d’un volcan gigantesque, dont les flancs ont été ciselés par des explosions formidables, il y a des millions d’années de cela.
En témoignent ces murs de lave redressés à la verticale comme des canines démesurées…
Je replonge la tête dans la jungle, croisant quelques excroissances végétales se développant à vue d’œil,
puis j’arrive au fameux Col des Trois Cocotiers, dont le nom est devenu posthume car deux d’entre eux ont disparu lors d’une tempête.
Comme il apparaissait trop compliqué de renommer l’endroit, on a préféré replanter les deux cocotiers disparus.
Retour dans la jungle, sa moiteur, sa couleur verte omniprésente. Le vert, le saviez-vous, a une odeur. Légèrement dérangeante. Un arôme de fleurs bien sûr, et un mélange de végétaux en décomposition, de terre humide. Mais ce n’est pas tout. Le vert exhale un subtil parfum de corruption. Un vague bouquet de gangrène, de musc, mi-animal mi-chlorophylle. La jungle est une bête, bruissant de toutes ses feuilles, frémissant de tous ses insectes, venant inhaler mon dioxyde de carbone au bord de mes lèvres et me soufflant dans les poumons un oxygène tout neuf, encore chaud et humide, comme un baiser interdit.
Ivre de chlorophylle, je titube entre les arbres, et au détour d’une roche je découvre une cascade à point nommé : les 30°C associés à 100% d’humidité me poussent à aller m’y rafraichir. Je sors mon Tahiti-Douche et me précipite sous l’eau fraiche bienfaitrice pour me refaire une santé.
Puis je repars sur le sentier des Ancêtres.
J’arrive ainsi à un Marae, plateforme rectangulaire de pierres dressée jadis, qui servait pour le culte mais était aussi un lieu social et politique. Marae signifie « endroit dégagé » en tahitien mais aussi en maori, et en toutes langues polynésiennes. Un nouveau marae était en général construit autour d’une pierre d’un marae plus ancien, afin d’assurer la continuité. Celui-ci est avalé par la végétation : les forêts se gorgent de tout, d’eau, de sel minéraux, de la pourriture de ses propres troncs, de celle des êtres vivants, et de la mémoire des hommes.
Je me faufile plus avant entre ses troncs, dont ceux de gigantesques mapés. Les mapés sont des arbres en toge. Ils se drappent dans leur écorce comme dans une cape. Comme je le disais plus tôt, ce sont des arbres emblématiques, bons à tout faire. Les tahitiens faisaient bouillir les fruits du mapé (qui ressemblent à des amandes) pour en faire des amuse-gueules. Ils se servaient de leur suc pour guérir la piqûre du poisson-pierre ; ses feuilles guérissaient la dysenterie. Le bois de son tronc passait pour un excellent charbon tandis que la sève, extraite, servait de teinture, noire ou bien bleue ou même rouge. Et bien avant d’utiliser des iPhones, les tahitiens frappaient contre les minces contreforts afin de faire résonner des messages dans toute la vallée.
Une véritable forêt de cabines téléphoniques médicalisées en somme.
Je continue ainsi jusqu’à retrouver bientôt la lumière du soleil, puis une vue plus dégagée : devant moi, trois pins. Après le col des trois cocotiers, le col des trois pinus. Il faut être trois pour être éponyme. Le « col du pin » ferait pauvre… et on se demande si en l’absence de ces trois pins le col existerait.
De là, une vue sur le mont Rotui, flanqué de ses deux baies : à gauche la baie d’Opunohu, à droite la baie de Cook.
En redescendant dans le creux de l’île-volcan, on aperçoit des champs cultivés :
ce sont des champs d’ananas. Et oui, les ananas ne poussent pas dans les arbres !
Je poursuis ainsi le long des ananas, jusqu’à la côte : enfin la porte du paradis !
Après deux jours passés à jouer l’équilibriste sur le dos des montagnes, à patauger dans la moiteur surchauffée de la jungle, voici enfin le moment de détente que je m’étais réservé (et que vous attendiez tous n’est-ce pas !)
Je délasse mon corps essoré, qui a perdu tant d’eau et de sel qu’il se délecte de cette eau de mer à plus de 30°C…
Puis il est temps de rentrer. J’attrape le dernier ferry, retour sur Tahiti. Demain matin, survol du Pacifique vers Los Angeles, puis l’Atlantique, vers la France et l’hiver qui m’attend.
Après cette prise de contact avec la Polynésie, j’ai eu confirmation que ces îles sont un beau terrain de jeu ; la saison des pluies s’installe doucement, je la laisse passer puis je tenterai de revenir : il y a encore plein de choses à voir et de pentes à gravir ! (même si comme dirait quelqu’un… « c’est beau mais…c’est loin ! »)
Ci-dessous une vidéo retraçant ce petit footing dans la jungle…