Il est sur Terre des lieux particuliers. Enigmatiques. Astrals. Tandis que je posais le pied sur le sol du Pérou, je ne me doutais pas que j’allais me retrouver au sein de l’un d’entre eux…
J’avais vaguement entendu parler de Marcahuasi, ruines pré-Incas à 4000m d’altitude. Comme je veux faire du dénivelé, c’est l’occasion d’aller y faire un tour…
Je loue une voiture, m’apprêtant à faire ces quelques kilomètres de bitume puis une petite grimpette aller-retour… sauf qu’au bout de 50km la route s’arrête, du moins son revêtement. Il n’y a plus de goudron pour remplir les trous, couvrir les pierres et faire en sorte qu’un véhicule normal puisse rouler. Déjà que la route était pleine de nid de poules, maintenant c’est une piste défoncée qui s’accroche aux flans de la montagne. Sans 4×4, c’est une aventure en soi.
Il n’y a de largeur que pour une voiture de taille normale ; d’un côté le flanc rocheux, de l’autre le vide. J’ai bien pensé faire demi-tour avec ma Toyota aux pneus lisses traînant son bas de caisse au ras des pierres, mais le demi-tour est impossible. Plusieurs fois, tandis que je frôle la paroi verticale pour garder une marge par rapport au vide, des poignées de sable et de gravillons tombent en crépitant sur le toit de ma voiture ; je rentre alors la tête dans les épaules et appuis sur le champignon en priant pour qu’il n’y ait pas un pan de montagne entier qui s’effondre sur ma caisse. Évidemment il me fallait rendre la bagnole en bon état… (ou pas pire)
Puis, au bout de deux heures de route cahin-caha (sans exagérer, j’aurais plus vite fait à pied), j’arrive à un petit hameau de quelques maisons serrées au bord du vide, hameau que j’espère sincèrement abandonné, pour ne pas avoir à imaginer la vie rayonnante de ses habitants.
Enfin, je franchis un pont jeté au-dessus de 500m de vide, et j’entame l’ascension d’une piste encore plus défoncée.
Au bout d’un kilomètre, désillusion. De grosses caillasses encombrent la route. Plus haut, sur les lacets tournicotant au-dessus de moi, des dizaines d’hommes et de femmes sont au labeur, à la pioche et à mains nues, pour remettre en état la route qui mène à leur village. Pas le choix : j’enclenche la marche arrière et ravale mon kilomètre à reculons, surveillant le vide dans mes rétroviseurs…
Je me gare, et décide de commencer mon footing ici. Je passe à côté de la D.D.E. locale (c’est à dire les villageois qui entretiennent eux-mêmes leurs routes), et entame mon ascension.
Je passe au-dessus d’une ferme aux champs cultivés par la même DDE (vous la voyez ma voiture garée au bord du vide en contrebas ?)
Je trottine tandis que l’aiguille de mon altimètre grimpe peu à peu dans les graduations, mais le paysage ne s’en améliore pas pour autant. La main de l’homme est toujours visible dans ces Andes péruviennes.
La difficulté inhérente à ce pays, c’est la pente. C’est une difficulté. Un inconfort. Un obstacle à tout. Pourtant, on l’utilise, notamment pour faire de l’électricité. L’inconvénient devient un avantage.
Dans ces terres en déclive, la moindre parcelle en relâche d’inclinaison est exploitée : culture, ou bien pâturage. Tout en costume traditionnel bien sûr.
Encore un pays au paysage sculpté par l’homme. On n’a pas le choix : pour vivre et se nourrir en montagne, il faut l’aplanir. Tous les pays pentus du monde le savent. La restanque est universelle.
Enfin en vue de San Pedro de Casta !
Le Péruvien est accueillant ; il vous arrête pour entamer la discussion. Il faut dire qu’il n’a pas souvent l’occasion de croiser des gens de la ville, voire du monde. Encore moins des gens qui courent… Sa curiosité est insatiable. La première chose qu’il fait, c’est de se tordre le cou pour tenter d’apercevoir quelle est la chose terrible qui vous poursuit !
San Pedro de Casta est un village perché aux alentours de 3500m d’altitude. Un bon millier d’habitants y vivent de culture, exploitant des champs en pente douce au pied des premières maisons. Autant dire que vivre à cette altitude tout au long de l’année surdose les organisme en globules rouges…
Pour irriguer leurs champs, les paysans détournent les cours d’eau : un vaste réseau de canaux quadrille la cuvette, les cultivateurs ouvrant et fermant des panneaux pour noyer une parcelle et pouvoir la retourner à la pioche et la barre de fer.
Le village de San Pedro de Casta est étonnammant grand au vu de l’altitude. On est presque en haut du mont Fuji ici !
Le catéchisme aussi ignore l’altitude. Le papisme s’est faufilé jusque dans les villages péruviens les plus reculés… La crèche, mi-brossée mi-vivante, est universelle !
L’église comme partout est le plus grand bâtiment de la ville, et son clocher s’incline comme les pentes environnantes. Je l’aurais bien visitée s’il n’était portes closes.
Allez, un dernier regard en arrière vers cet étrange ville perchée de San Pedro de Casta,
puis tandis que les nuages montés de la vallée voisine ont pris un peu d’avance sur moi, je m’élance à leur poursuite (ce qui, vue l’altitude, 3700m, est d’une vaste naïveté).
La piste fait le tour de la montagne. Contrairement à certains endroits sur Terre, je pense à l’Andorre en particulier, les sentiers prennent soin des cuisses et du souffle de leurs usagers : les chemins se déroulent doucement, étirent la pente, allongent la distance, mais adoucissent l’inclinaison. On marche plus longtemps mais on souffre moins. Comme je devine entre les nuages le sommet de la montagne, je préfère couper : ça rajoute du piquant.
Je passe bientôt au-dessus de la mer de nuages qui couvre la vallée de Chosica.
Je poursuis. Je rattrape bientôt un GR. Là-bas, les signes blanc et rouge des GR français sont plus évident. On ne peut pas se perdre.
Me voici en vue du sommet. Les Chrétiens sont déjà passés.
Encore quelques lacets à grimper, m’amenant vers les 4000m d’altitude.
Et enfin je pose le pied à l’entrée d’une petite vallée. Marcahuasi.
Tout de suite l’environnement se dresse devant moi, paysage évident, résolu, frontal. Son atmosphère peu commune s’impose au promeneur : il n’y a pas besoin de pancarte pour dire que quelque chose vit, ou a vécu, ici. Un visage de pierre m’accueille sur le plateau de Marcahuasi : j’apprendrai au retour qu’il s’appelle du « Monumento a la Humanidad« . Les explications de cette appellation ne sont pas très claires, apparemment à cause des multiples faces de cette pierre, renvoyant aux caractéristiques des différents peuples du monde : africain, américain, voire asiatique. Tout est bon.
Il est vrai qu’il y a des rochers aux formes extravagantes un peu partout, à cause d’une érosion particulièrement active. Comme cet étrange hippopotame.
L’endroit est particulier par rapport au paysage général des Andes. Rien de bien extraordinaire, mais les habitants ont visiblement trouvé le site unique.
Daniel Ruzo en particulier, puisqu’il a bâti ici une cabane afin de passer jours et nuits sur le site, pendant 9 mois.
Les rochers présentent des traces de sculpture, on raconte que certaines datent de 20000 ans et seraient donc les plus anciennes sur Terre. Je prends le soin d’employer le conditionnel, car en terres ésotériques on ne peut distinguer le vrai du faux. L’exagération est partout, et on aurait même tendance à douter de tout. L’endroit a été « découvert » en 1923 par Juio Cesar Tello, un archéologue Péruvien, mais c’est Daniel Ruzzo qui a fait connaître l’endroit grâce à son livre “Fantastic History of a Discovery”. Depuis, toutes les théories circulent. C’est ici que s’est échouée l’Arche de Noé, puisque sont représentés des animaux qui n’existent pas sur le continent américain, comme les hippopotames ou les éléphants (soit dit en passant, si je ne vous avais pas dit que la photo plus haut ressemblait à un hippo, qui parmi vous l’aurait remarqué ?). Les locaux sont certains que le chaos de roche est issu de la grande bataille entre les dieux Andins Soxtacuri et Guayayo. D’autres assurent que les rochers ont été sculptés par une civilisation pré-Inca qui aurait fait le tour du monde et aurait laissé ici les preuves de leur art transcontinentalisé. Et tous s’accordent à dire qu’à Marcahuasi se trouve la clé du mystère de l’Univers.
Ce qui est sûr, en tous cas, c’est que l’endroit a été habité.
En effet, des chullpas sont disséminées sur le plateau d’altitude.
Les chullpas sont d’anciennes constructions funéraires, à l’origine pour les famille nobles, dans lesquelles on enfermait les corps des défunts en position foetale, avec leurs vêtements et leurs biens. On en trouve dans tout l’Altiplano, entre le Pérou et la Bolivie. D’ailleurs, jusqu’en 2011, on pouvait encore y trouver des ossements et des restes momifiés. C’est le peuple Huanca qui vivait là, entre le IXème et le XIVème siècle, avant l’arrivée des Incas, dans une ville fortifiée aujourd’hui en ruines.
À l’autre bout du plateau, distant de plusieurs kilomètres, la Fortaleza. Il s’agit d’une proéminence rocheuse, dans laquelle ont été taillés des escaliers, et sur le faîte de laquelle sont préservées quelques ruines. C’est ici que se réfugiaient, apparemment, le roi et sa cour, si on peut les appeler comme cela.
Je remets à plus tard l’ascension, car je suis à la recherche de l’Infiernillo.Une grotte menant à un tunnel d’une centaine de mètres de long, qui d’après les croyances locales serait une sorte de « porte astrale ». On ne compte plus les chasseurs de trésor qui y seraient entrés et jamais ressortis, probablement catapultés dans une autre dimension… Malheureusement je n’ai pas les coordonnées GPS de l’endroit (qui, de par sa nature astrale et surréaliste, ne peut d’ailleurs être retrouvée par un banal GPS, tout comme le Triangle des Bermudes… on ne peut étalonner le surnaturel). Alors j’erre au petit bonheur la chance, et arrive bientôt au bord du plateau. Là, je pense que j’ai dû m’approcher d’un peu trop près, non du vide, mais d’un terrible secret ésotérique, car est soudain sorti de nulle part un brouillard à couper au couteau.
Oups… Je suis sur un plateau, à 4000m d’altitude, sans chemin proprement tracé, sans relief spécifique pour me repérer… à plus de trois kilomètres de l’accès vers San Pedro de Casta… en d’autres termes, je ferais mieux de rentrer. Tant pis pour la visite de la Fortaleza.
Heureusement ma montre de geek fait, en plus d’altimètre et boussole, un parfait GPS avec la fonction « return home ». Bon je ne m’en suis pas servi, mais ça rassure car bientôt la visibilité tombe à 3 ou 4 mètres. Juste de quoi éviter de tomber dans la lagune…
Je retrouve mon chemin sans trop de problème, à tâtons, et redescends sur San Pedro, sous l’oeil amusé des enfants Péruviens… Encore un gringo qui rentre bredouille doivent-ils probablement penser…
Je n’aurais finalement pas trouvé la porte astrale, ni ressenti ce mystère palpable raconté par tous… mais au moins je me serais promené dans les ruines d’un peuple aujourd’hui disparu, aux moeurs inconnues.
Je retrouve très vite mon véhicule, le coeur se serrant déjà à l’idée d’emprunter cette route périlleuse dans l’autre sens…
La vidéo de Marcahuasi :
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macfly20222
Enorme !! après le funambule à Tahiti maintenant le funambule en voiture…..je savais bien que tu étais monté très haut , super de partager encore une fois ton expérience merci !!!!!!
Jphi
Merci ! Je préfère faire le funambule à pied qu’en bagnole, je n’étais pas très à l’aise… ce n’était pas le cas du bus que j’ai croisé, qui a à peine ralenti, mordant sur le bas-côté (côté vide), malgré ses grappes de passagers agrippés sur le toit….
Romain
C’est dément ces paysages Péruviens! Merci pour le partage!
Jphi
content que ça te plaise !
jean-E
MAGNIFIQUE reportage!! waouhhhhhh que de souvenirs pour tes vieux jours !!!! lol merci de nous les faire partager
Jphi
dans mon fauteuil au coin du feu je relirai mon blog en fumant la pipe
Pat.
Ouaaaah!! une porte astrale, j’en ai pris une il y a quelques temps mais j’ai du me cogner au montant !!
Pour la trouver tu avais une autre option; passer la soirée avec le petit vieux qui t’attendait au bord de la route (qui en fait est un chamane mucho màgico) il te faisait goûter quelques spécialités locales, ton âme quittait ton corps et rejoignait celui d’un condor, tu choppais un méga courant ascendant et hop direct par la porte, n’oublie pas de rentrer tes ailes !!!
Belle ballade Jean-Phi .
Jphi
Aaah Pat je reconnais bien là ta prose gonzo !!!… J’aurais dû faire ça !!! Mais sinon comment j’aurais fait pour rejoindre nos Cévennes ? Merci de me lire amigos !
trailman
Encore un endroit pommé sur la terre. Heureusement qu’il en reste ! quant à ton Stargate, heureusement que tu ne l’as pas trouvé, on n’était pas près de te revoir
Jphi
T’as raison ! Déjà que…
Jphi
De rien Bernardo la fripouille !
bernard (fripouille)
Bravo j.phi pour ce magnifique reportage -photos/texte – et surtout merci de nous le faire partager
franca
Quelle etrange atmosphère se dégage de ton reportage … le choix judicieux de la musique y est certainement pour quelque chose … bravo pour les photos sur les péruviens, elles sont superbes. A bientôt pour de nouvelles découvertes ..!
Jphi
C’est vrai que tout dépend de la musique, au point qu’on pourrait faire dire ce que qu’on veut aux images ! En parlant de nouvelles découvertes, j’en ai quelques unes dans les cartons, y’a plus qu’à !
hemata
Es tu sur de ne pas l avoir passe cette porte astral en passant au dessus des nuages en devenant mi homme mi condor
Toujours d aussi belles photos qui font offre au petit baigneur que je suis une vision bien plus aérienne ce notre monde
Merci encore
À désias cthuLhu
Jphi
Helloooo petit baigneur ! Oui ça c’est sûr je ne me suis pas transformé en Condor vu que je suis redescendu à pied et que je me suis explosé un ongle sur un rocher…. Pas souvent vu des condors le faire
À un de ces 4 et la bise à vous 2 !!!