Top

Corée du Sud. Séoul se trouve sur la côte ouest, sur les bords de la Mer Jaune. Comme j’ai déjà écumé les montagnes du coin (Dobongsan et Bukhansan, rappelez-vous), je décide de sauter dans un bus à destination de Sokcho, sur la côte est, destination le Seoraksan, parc national.

À peine le pied posé à Séoul, je file à la gare routière pour attraper le premier bus en partance vers l’est, je me reposerai pendant le trajet. Et ça tombe bien : les bus sud-coréens sont ultra confortables, et je dormirai comme un bébé pendant les quelques heures de voyage, traversant la Corée de part en part.

J’ouvre les yeux à Sokcho, petite station balnéaire près de la mer du Japon, étalant ses plages (bondées l’été) au pied du Seoraksan. Le soleil se couche, et avant de profiter d’une bonne nuit de sommeil dans l’hôtel du coin, je me rends au magasin outdoor de la ville pour me rancarder plus précisément sur les montagnes du parc national de Seoraksan, car les infos sur internet sont assez succinctes.

Les Coréens en général ne parlent pas tous anglais, mais c’est encore plus vrai en dehors de la capitale : difficile de se faire entendre et encore plus de comprendre ce qu’ils me disent. Mais au final, mes espoirs s’envolent tous d’un coup car malgré la barrière de la langue j’ai bien compris une chose : le parc est fermé. Jusqu’au 15 mai ! Je suis venu pour rien, je ne peux pas le croire. Mais pourquoi fermé ? À cause des risques de feux de forêt. Là je me retourne vers la vitrine du magasin qui donne sur les flancs enneigés du Seoraksan… Feux de forêt… difficile à croire avec cette neige… Ils m’expliquent que c’est la saison sèche et au vu du nombre d’espèces protégées ils ne veulent pas prendre de risque.

Je me rends à l’hôtel, déçu. Mais pas abattu : je me lèverai tôt, me rendrai aux portes du parc au petit matin, et j’aviserai. Dans ma petite chambre, la carte dépliée sur mon lit, je refais mes plans. J’avais envisagé, à l’origine, une traversée totale du parc par les crêtes : entrer au petit matin du côté sud, par une entrée peu fréquentée, et ressortir au nord le soir, par l’entrée principale, afin d’attraper un bus pour retourner en ville puis un autre vers Séoul. Or les choses ont changé.

Un : il y a trop de neige pour emprunter les fameux ridges déchiquetés, il me faudrait trop de temps et sans être équipé c’est un vrai danger. Il va me falloir rester dans les vallées.

Deux : même si je parviens à entrer dans le parc, remonter par le sud sur des sentiers déjà peu fréquentés est un problème car j’ai peu de chances de trouver des traces de randonneurs et je risque d’avoir des problèmes pour rester sur mon itinéraire sans me perdre avec cette neige, et le temps m’est compté… Pas le temps de jardiner.

Je choisis donc d’entrer par le nord, par la voie principale, de faire une boucle passant par le plus haut sommet du parc, et de ressortir par la même entrée. Tout cela bien sûr… si je parviens à entrer…

Je me lève avant le soleil, attrape le premier bus pour le parc et avance vers les grilles. Il n’y a personne, un regard à gauche, un regard à droite, et hop je fais le mur, sous le regard désapprobateur d’un buddha.

Buddha

Je trouve le sentier que j’avais pointé sur ma carte, et je remarque les empreintes de pas de deux hommes, légèrement recouvertes par la dernière chute de neige. Ça me rassure : je ne suis pas le seul à violer les règles, et pas le seul non plus à me balader dans le parc l’hiver. Je décide de les suivre, il s’agit probablement de quelqu’un ayant fait la même boucle que moi… Le sentier s’enfonce dans une vallée étroite parcourue par un ruisseau.

Seoraksan

Seoraksan

Seoraksan

La vallée est plutôt encaissée et il n’y a aucun moyen de s’en échapper : difficile de se perdre il n’y a que deux options. Continuer de l’avant ou faire demi-tour.

Seoraksan

Seoraksan

La neige rend la progression difficile, mais en été ça ne doit pas être très facile non plus : heureusement les Coréens ont installé des passerelles et des escaliers pour faciliter la promenade. Il faut dire que sans ces structures, ce serait quasi impossible.

Seoraksan

Seoraksan

Tandis que je m’élève peu à peu, m’extirpant lentement de cette vallée profonde qui ressemble plus à une fracture, le soleil peine à y darder ses rayons : le ruisseau qui s’écoule dans le fond de cette faille ne doit pas le voir souvent. Sauf peut-être à midi le jour du solstice d’été. Je passe devant des refuges à l’air abandonné, attendant le mois de mai avec impatience pour accueillir leurs premiers visiteurs de l’année…

Seoraksan

Enfin les parois s’écartent, un col se dessine, c’est la sortie. Je m’extirpe du couloir de roche et entame l’ascension d’un flanc de montagne, dans la forêt. Je suis toujours les traces de mes deux prédécesseurs.

Seoraksan

Je suis sur les flancs du Daecheongbong. C’est le plus haut sommet du Seoraksan, culminant à 1708m, ce qui n’est pas très haut en soi, mais c’est tout de même la troisième plus haute montagne de la Corée du Sud (le premier est le volcan Hallasan sur l’île de Jeju, 1950m). J’ai prévu, si cela est possible, de rejoindre le sommet, de redescendre, puis rentrer par un sentier qui a l’air plus « aérien » que mon fond de vallée encaissée…

Seoraksan

Devant moi le Daecheongbong. Tout à fait envisageable. Rien de technique jusque là : je monte, je redescends, et l’affaire est jouée. Plus que 500m environ de dénivelé. Une heure au plus, j’aurai fini plus tôt que prévu !

Daecheongbong

Je passe devant les fenêtres d’un troisième refuge, beaucoup plus gros que les autres. Il a l’air moins abandonné aussi. Les volets sont ouverts. Des traces de pas toutes fraiches dans la neige tout autour. Les empreintes que je suivais jusqu’ici s’y rendent, et ne repartent pas… oups… réalisant mon erreur, je m’en éloigne précipitamment, à l’assaut de la pente. Trop tard. Une voix m’interpelle. Je fais mine de ne pas entendre mais celle-ci se fait insistante. En contrebas, un coréen en uniforme kaki me fait signe de redescendre. En bon français, prétextant ne pas saisir ce qu’il me dit, je lui fais un petit signe de la main et reprends mon ascension, en redoublant de vitesse. Je le surveille discrètement du coin de l’oeil, il s’est lancé à ma poursuite. C’est un Park Ranger ! La guigne. Il halète sous l’effort : j’aurais vite fait de le semer dans cette pente. Mais comme je devrai repasser par le même chemin au retour, j’aurai à le croiser de nouveau… Et puis à le voir s’échiner en tshirt et bottes en caoutchouc par -5°C, m’invectivant en coréen, je prends pitié, et je m’arrête, décidant de l’attendre. Quand à plus faible distance il se rend compte que je suis étranger, il se rassérène, prenant conscience que je ne comprenais pas ce qu’il me criait….ou alors il est rassuré que je me sois arrêté…

Bref, il arrive à mon niveau et m’explique dans un anglais basique que la montagne est fermée jusqu’en mai, pour cause de feux de forêt (gasp !). Je fais mine d’être étonné. « Mais par où êtes-vous passé ? » me coupe-t-il. « Par la forêt », répondis-je d’un ton vague, évitant de dire que j’ai escaladé une barrière… Devant son air dubitatif, je coupe court à la discussion en posant des questions sur cette interdiction. Apparemment, malgré la neige, le risque de feu est bien réel. De plus, ils préservent la période de reproduction. Je ne m’y connais pas vraiment en reproduction (animale j’entends) mais j’imagine que la reproduction c’est plutôt au printemps. À mon avis cette fermeture du parc c’est pour éviter que des groupes de randonneurs se baladent sur les ridges glacés… Parapluie et Responsabilité plutôt que Préservation. Enfin ce n’est que mon avis.

Mais bon, le Ranger est très sympathique et me pose plein de questions à son tour ; il me propose un café, ça tombe bien avec cette température. Nous redescendons dans le refuge et rejoignons son acolyte qui nous prépare un bon café chaud (je me serais plus attendu à un thé vert). La discussion est sommaire à cause du barrage de la langue alors ils s’amusent à tendre la main à l’adresse des oiseaux et ceux-ci volettent, viennent se pauser sur le rebord de leur paume… Deux Blanche-Neige en puissance ! Passer quatre mois d’hiver en tête à tête, ça vous rapproche de la nature…

Je reprends ma route (vers le bas ; ils n’ont pas l’air très enclins à ce que je continue à monter…), ils me font leurs adieux et après ce moment chaleureux je retrouve le silence de la forêt et ma solitude glacée. Plusieurs fois le Ranger a insisté : « au prochain croisement, prenez à droite, pas à gauche« . À moins qu’il ait dit « à gauche, surtout pas à droite ! »

Seoraksan

Je plaisante bien sûr. En arrivant à la patte d’oie, je considère le chemin de droite, par lequel je suis monté, où désormais cohabitent trois séries d’empreintes (les miennes et celles des deux Rangers Coréens), puis le gauche, immaculé, encombré de 40cm de neige. Ce chemin est celui par lequel j’avais envisagé de rentrer, via un ridge de quelques kilomètres. Mais vue la quantité de neige et les plaques de glace, ce serait trop dangereux de s’y risquer sans équipement. En plus, je soupçonnais l’un des Rangers de venir vérifier que mes traces bifurquent bien vers la droite. Je décide donc de suivre la voie de la sagesse (et sincèrement, même sans les Rangers, j’aurais pris à droite).

Je repasse sous les cascades de glace,

Seoraksan

sous les cascades d’eau,

Seoraksan

repasse les passerelles à l’envers,

Seoraksan

Seoraksan

et du coup je profite bien plus des paysages.

Seoraksan

Seoraksan

Seoraksan

Seoraksan

Puis je repasse la barrière du saut le plus naturel possible, sous l’oeil ahuri du garde qui entre temps avait pris position dans sa cahute… Du coin de l’oeil j’aperçois alors un petit sentier qui monte sur l’autre versant ; mince il faut que je repasse devant la cahute !!! Je fais demi-tour repasse devant le garde sans le regarder, lequel ne me dit rien, et je m’engage sur le chemin enneigé.

Là pour ce coup, ça monte assez vite !

Ulsanbawi

Très vite, même. En-dessous de moi, presque à la verticale, l’entrée du parc…

Seoraksan

Je suis sur le chemin qui mène à Geumganggul. Ce n’est pas une forteresse du Seigneur des Anneaux, mais une grotte sacrée à flanc de falaise.

Geumgang-gul

On y accède par un escalier de fer, à la pente assez prononcée, fiché dans la roche de façon assez sommaire. Je ne peux m’empêcher d’imaginer la chute si l’un des pieds venait à rompre…

Geumgang-gul

Geumgang-gul

De là-haut, la vue est superbe.

Geumgang-gul

La grotte est minuscule, au fond patiente tranquillement un buddha assis et brûlent quelques cierges. J’en allume un pour assurer une redescente sans surprise, et je passe sur l’éminence voisine.

Ulsanbawi

Je suis sur l’Ulsanbawi. Un rocher embématique du parc et de toute la région de Sokcho.

Ulsanbawi

Ulsanbawi signifie « les Rochers d’Ulsan », et la légende locale veut qu’il soit venu de sa ville d’origine, Ulsan, sur la côte sud-est, pour participer à la création de Kumgangsan, la Montagne de Diamant (au nord de Seoraksan). Mais il n’y avait plus de place alors il repartit vers le sud, et quand il arriva au Seoraksan il trouva la région si belle qu’il choisit d’y rester pour toujours…

Ulsanbawi

Sa forme particulière fait que le rocher, avec ses 900m d’altitude, est visible de très loin.

Ulsanbawi

De là-haut aussi la vue est magnifique. J’en profiterai pour parcourir du regard les crêtes que je n’ai pu découvrir, les flancs enneigés du Seoraksan… fermé pour feux de forêt…

Seoraksan

Seoraksan

Allez, il est temps de redescendre, je dois attraper un bus pour retraverser toute la largeur de la Corée, passant de la Mer de l’Est à la Mer Jaune, vers Séoul.

Un dernier petit regard vers le Seoraksan hermétique et secret (de janvier à mai…..)

Seoraksan

puis je me promets de revenir à partir du mois de juin !

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • Tat

    29 mars 2013

    Le voilà maintenant qui brave les interdictions !! Et en plus les Rangers lui offrent le café! Bon tu seras pardonné vue la beauté des paysages que tu nous fais découvrir!

    • Jphi

      30 mars 2013

      Merci Tat… ouais bon, interdiction, interdiction… juste une fermeture… disons que je suis entré avec un peu d’avance…

  • Roxane

    29 mars 2013

    Magnifique !!! c’est beau de voyager devant l’écran de l’ordinateur
    Merci

    • Jphi

      30 mars 2013

      Merci Roxane ! Comme ça au moins tu as moins de décalage horaire…

  • Co

    29 mars 2013

    Que de beaux paysages et que dire du récit!

    • Jphi

      30 mars 2013

      Merci Co ! (Les paysages j’y suis pour rien)

  • 29 mars 2013

    Ce n’est pas bien de faire le mur !! Ils auraient pu te mettre derrière les barreaux ?? Et qui aurait pu te rendre visite ?? Sérieusement, tu as beaucoup de courage. C’est toujours un plaisir de lire tes aventures…

    • Jphi

      30 mars 2013

      Aux États-Unis les Rangers sont assermentés et ils peuvent te mettre des prunes ; en Corée je ne sais pas, mais ils étaient vraiment sympas en tous cas… Je repasserai les voir en juin !

  • 29 mars 2013

    Il ne manquait plus que cela à ton palmarès toujours des photos magnifiques … on voyage avec toi !

    • Jphi

      30 mars 2013

      Oh il y a encore plein d’autres conneries à faire !

  • 29 mars 2013

    Les photos sont toujours magnifiques avec cette lumière d’Asie et le récit est bien sympa.
    C’était un bon entraînement avant une expédition au Tibet ?!?
    On adore cette ambiance des parc coréens.
    Merci de partager ces beaux moments avec nous.

    • Jphi

      30 mars 2013

      Merci les amis ! Le Tibet ? Mais où êtes-vous allés chercher ça ? Un jour peut-être… À bientôt Paco !!

  • Sofie

    30 mars 2013

    J’aime ta détermination !! C’était vertigineux et tes talents de narration nous transportent… comme toujours !! Bravo JPhi !!

    • Jphi

      30 mars 2013

      Merci ma Sofie ! J’espère que le vertige sera plus présent cet été quand j’irai sur ces crêtes… et que j’aurai toujours des trucs à raconter…

  • 30 mars 2013

    et c’est comme çà qu’on se perd et on se retrouve de l’autre côté de la frontière merci encore de partager

    • Jphi

      30 mars 2013

      T’as raison macfly !!! Bon j’avais quand même une marge de 100km avec la DMZ, pour passer en Corée du Nord j’aurais dû me perdre pendant très longtemps quand même… Vous auriez déployé des banderoles sur l’Hôtel de Ville, hein ?…

  • 30 mars 2013

    ben vi

Sorry, the comment form is closed at this time.