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Après une escale de quelques jours en Californie, à arpenter le Désert de la Mort, le voyage continue vers l’ouest : au programme, la traversée de la moitié de l’Océan Pacifique, au-dessus des atolls oubliés dans l’immensité liquide, pointant hors de l’eau comme des têtes d’épingle…

La Polynésie Française regroupe plus d’une centaine d’îles, à plus de 6000km de l’Australie, et 8000km des côtes chiliennes : une poignée de petits cailloux jetés dans une flaque, au milieu de nulle part. Les Îles du Vent, les Îles Sous le Vent, les Tuamotu, les Gambiers, les Marquises etc… Loin de tout. Isolement total. La traversée dure toute la nuit, à survoler le vide maritime, à retenir sa respiration pour que les moteurs tiennent jusqu’au bout… Autres temps autres inquiétudes, à leur époque les premiers hommes à peupler ces îles sont venues d’Asie du sud, à bord de simples pirogues à balancier…

Au lever du soleil, l’avion entame sa descente vers les terres émergées. Tahiti Nui a déjà la tête dans les nuages.

À l’horizon, les crêtes acérées de Moorea.

À peine posé, une petite collation avalée, tandis que tous les touristes se précipitent sur les plages paradisiaques et dans le bungalow de leurs rêves,

moi je tourne le dos au bleu de l’atoll (ne hurlez pas !) et m’enfonce dans les terres de Tahiti. Vu la chaleur accablante, j’ai le net sentiment de dédaigner l’azur du paradis pour préférer le vert de l’enfer.

À chacun son Éden…

Le mien est gardé par un vieux à la barbe verdâtre se balançant au gré du vent.

Le sentier est plutôt bien tracé, voire taillé dans la montagne.

Et plus haut, encore dissimulé par les nuages, le sommet de l’Aorai.

L’Aorai est le troisième plus haut sommet de Tahiti. Il ne mesure que 2066m mais avec la chaleur et surtout la configuration du terrain, ce n’est pas une balade tranquille. En effet, les montagnes ici sont du genre acérées. Les pentes ne sont pas fortes, elles sont verticales. Impraticables.

Et couvertes d’une végétation luxuriante.

Pour tout dire, on a l’impression de se trouver au beau milieu de la Terre originelle, il y a des millions d’années en arrière, lorsque les volcans façonnaient le terrain, que le vent et les pluies n’avaient pas encore eu le temps d’éroder, et que la végétation s’en emparait, le recouvrant d’une couverture impénétrable dans laquelle chassaient les dinosaures. Car c’est un peu cette ambiance qui domine : en trottinant le long du sentier, je me surprends à surveiller la jungle du coin de l’oeil, aux aguets. Bienvenue dans le Jurassique.

Au-dessus de ma tête, l’Aorai flirte avec les nuages ; quand on observe ses pentes, on se doute bien que ce n’est pas par là qu’on va pouvoir passer…

Mais en suivant une ligne de crête.

Car cette île, Tahiti Nui, est faite de crêtes. D’arêtes. De fils, plutôt. Car les crêtes terminent les montagnes, mais pour une lame on parle de fil. Et c’est bien de lames qu’il s’agit ici. Les montagnes n’ont pas grandi, elles ne sont pas sorties de la mer,   poussées par les forces telluriques, elles ont été dressées. Érigées. Comme des menhirs, des plaques minérales posées sur leur chant. Des feuilles de pierre exposant leur tranchant au ciel, tranchant sur lequel je vais devoir progresser. Je dis progresser et non pas courir, une fois n’est pas coutume, car même si ce n’est pas impossible, l’exercice tient plus du funambule sur son câble que du traileur sur son sentier de chèvre.

D’ailleurs, on se dit en regardant les sommets alentours que la plupart sont vierges de toute trace humaine, encore inviolés. C’est ce que pensait une équipe d’alpinistes montée dans les années 50 au faîte du Tetufera (1800m) pour y placer un signal géodésique, sûrs qu’ils allaient être les premiers à poser le pied sur le sommet : quand ils ont retiré la mousse qui couvrait le sol pour y placer leur balise, ils ont mis à jour les restes d’un feu de camp ! Les chasseurs d’oiseaux de Tahiti, appelés « Grimpeurs de Rochers », escaladaient en effet des falaises impossibles à l’aide de deux couteaux qu’ils plantaient dans la roche, se hissant au sommet à la seule force des bras…

Voici l’arrête que je viens de parcourir. Au bout, le premier refuge, celui de Fare Mato, dans lequel il est possible de dormir.

Plus loin, le Diadème, résurgence jurassique, proéminence d’un autre âge, autour de laquelle volent quelques Ptérodactyles (je suis sûr d’en avoir vus).

Te Hena o Mai’ao est le nom tahitien de ce rocher préhistorique.

Devant moi, la silhouette imposante du plus haut sommet de l’île et de la Polynésie Française : le mont Orohena. À l’origine c’est ce sommet que j’envisageais de gravir, mais cela nécessitait environ 24h aller-retour en raison de la difficulté, donc vu mon programme, ce sera reporté à une prochaine fois…

De loin, les montagnes semblent couvertes d’une couverture fine de végétation. Ce pourrait être de l’herbe, ou des buissons ras. Qu’on ne s’y trompe pas : ce sont souvent des arbustes en taillis, impénétrables, et chaque fois que la pente s’adoucit ou que l’on traverse une ravine, la jungle reprend ses droits. C’est dans ces passages que votre chair se hérisse, que votre respiration se suspend, que vous marchez, l’oreille aux aguets, dans le plus grand silence dans la peur indicible de surprendre le mouvement d’une feuille, sans savoir s’il ne s’agissait pas plutôt d’une écaille, que vous plissez les yeux pour tenter de lever le doute entre un talus couvert de mousse et le flanc palpitant d’un saurien retenant son souffle, que vous vous arrêtez net en scrutant une anfractuosité , sûr d’y avoir décelé le regard mi-clos d’un reptile embusqué.

Je poursuis mon ascension, rendue difficile par la chaleur et surtout le manque de sommeil, car je n’ai dormi que quelques heures depuis mon périple à Death Valley ; comment court-circuiter un cerveau en passant de Star Wars à Jurassic Park en moins d’un cycle circadien… Je remonte donc l’échine de mon Brachiosaure (j’en suis peu ou prou au milieu du cou)

Déjà, j’aperçois le dos d’un autre dinosaure : on discerne l’écaille d’un Stégosaure !

C’est le col de Mahina, qui joint l’Orohena et l’Aorai. Devant moi, le sentier se cambre une dernière fois avant le sommet de l’Aorai.

Encore un dernier petit effort avant de se hisser sur le sommet. Derrière, l’Orohena, que je ferai la prochaine fois. Qui est autrement plus dur et technique…

En contrebas, le col de Mahina avec sa nageoire dorsale. Une véritable curiosité géologique !

Qui est là pour nous rappeler que Tahiti n’est pas né de la poussée tellurique, mais des flammes de l’enfer : c’est un souffleur de feu qui a fait Tahiti. Au fond de l’océan repose ce qu’on appelle un point chaud. Une soupirail donnant sur le cœur en fusion de notre planète. Une bouche, s’ouvrant et se fermant à intervalles réguliers de plusieurs millions d’années, libérant des panaches de magma basaltique qui remontent des fonds marins parfois jusqu’à la surface et se solidifient à jamais. Comme le plancher océanique se déplace mais pas les points chauds eux-mêmes, on observe des chapelets d’îles s’éloignant doucement en file indienne, les plus anciennes devant, tels les cailloux du Petit Poucet… Les îles de Tahiti, au même titre que celles d’Hawaï, des îles Marshall, la Réunion, les Açores ou les Galapagos, sont nées d’une éruption volcanique. Ce qui explique ces montagnes dressées comme des feuilles de pierre. Je ne me tiens pas sur un massif mais sur la couronne d’un volcan !

La paroi de pierre est comme un battoir dressé contre le vent ; celui-ci tente en vain de le contourner, générant des courants contre nature qui condensent l’air humide : la paume géante semble s’être enflammée.

Le soleil descend doucement sur la mer, mais les vallées sont tellement profondes qu’il commence à y faire nuit.

Allez… il est temps de rentrer, car j’ai tout le chemin inverse à redescendre… d’autant plus que j’ai lu quelque part que les Velociraptors sortaient la nuit…

Il me faut prendre un peu de repos car demain m’attend une autre sortie : d’ailleurs, on devine le terrain de jeu à l’horizon…

En attendant Jurassic Park 2, voici une petite vidéo qui rend bien l’effet ressenti quand on court « sur le fil du rasoir »…

aorai_small

et bien entendu, le portfolio

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • Franca

    21 novembre 2012

    Vertigineux ! N’as tu pas eu le sentiment d’être un funambule sur le toit du monde ? En tout cas, chapeau !

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    • 23 novembre 2012

      Si justement, Franca… Sur le toit du monde je ne sais pas, mais funambule c’est un peu ça! Impression parfois saisissante même si le sentier n’avait rien de technique en soi… Tout est dans le vide!

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  • 22 novembre 2012

    Je c Je choisis moi aussi le vert de l’enefer, mais faut pas souffrir de vertige, néanmoins……..quel veinard !!!

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    • 23 novembre 2012

      Ça ne m’étonne pas de toi Thierry!! S’il y a moyen d’aller courir dans les montagnes on aurait beau t’appater avec du sable blanc, des barrières de corail, un hamac sous les palmiers avec mojitos et vahinés, ça ne te retiendrait pas!

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  • Bru

    24 novembre 2012

    Salut Jean-phi, comme je t’envie car là d’où tu reviens c’est un peu chez moi :).
    Ça reste toujours aussi beau.
    Rassure moi après l’effort le réconfort tout de même, un petit tour à la baie Mahina pour faire un peu de surf sur une plage de sable noir ?
    En tout cas bravo et merci encore pour ces images.

    A+

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    • 24 novembre 2012

      Hey Bruno ! Pas eu le temps de prendre de réconfort… pas de baignade sur Tahiti… Je pense que tu trouverais l’endroit bien changé tu sais… Par contre je me suis baigné le lendemain, à… mais chut c’est pour bientôt…

      A+ man, je sais que toi tu serais resté dans l’eau pour naviguer…

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  • Barrière francoise

    24 novembre 2012

    Vertigineux ! C’est le mot qui nous vient après la lecture de ton périple ! Merci de partager !

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  • 26 novembre 2012

    Merci Françoise ! La suite sera moins vertigineuse…juste un peu plus étouffante… soon !

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  • 23 janvier 2013

    moi qui adore les fossiles par la même le jurassique suis admiratif par contre je fait l’impasse pour la ligne de crête are you crazy ?
    merci de partager epoustoufflant comme d hab

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    • Jphi

      5 février 2013

      Allons macfly, une petite crête comme ça ne va pas te faire reculer ?

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