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Retour en Californie… C’est l’hiver, et je n’ai pas beaucoup de temps devant moi, donc pas question d’aller en Sierra Nevada. Changement d’horizon : pas de montagne pour cette fois. Direction le Désert de Mojave

Mon petit périple débute dans le désert du Colorado, au lever du soleil. Comme tous les déserts, l’horizon est plutôt morne, dans le genre horizontal.

Et comme dans tous les déserts, les amplitudes de température peuvent être très élevées : très chaud le jour, très froid la nuit. Aujourd’hui elles sont clémentes, il fait 3 ou 4°C, nous sommes à 1000m d’altitude. Les premiers arbres que je croise ressemblent plutôt à des buissons. Rien d’extraordinaire à première vue, mais ce sont des Ocotillos. Au printemps les rameaux sont couverts de feuilles, comme s’ils se paraient d’une petite fourrure, et se terminent par des fleurs rouge vif.

Crédit Photo Henri Derviler

Il faut trottiner à bon rythme pour se revigorer, tandis que le soleil qui se lève derrière moi me réchauffe doucement le dos. Grâce à cette foulée rapide j’arrive bientôt au pied d’une petite montagne et me dis que je vais très vite franchir le col qui me sépare du désert voisin : Mojave. Sauf que…

Ce qui ressemblait à un amas de quelques broussailles rachitiques, comme en connaissent tous les déserts, se transforme rapidement en obstacle non prévu. Au début, quelques silhouettes à l’apparence replète, coraux terrestres couverts d’un duvet joufflu, d’une fourrure tirant sur le brun. Un véritable jardin d’ours en peluche.

Qu’on ne s’y trompe pas. Les nounours, dans la nature, ont des griffes. Celui-ci aussi. Comme on dit, qui s’y frotte s’y pique. C’est un cactus, répondant d’ailleurs au nom de Teddy Bear Cholla. Ses épines sont terribles, il ne faut pas se fier à leur apparence, et j’en ai fait les frais. Peu méfiant, les effleurant d’un peu trop près, je me suis vite rendu compte que les épines sont très dures et acérées comme des aiguilles.

Pis : des branches de ces cactus se détachent et jonchent le sol comme des pelotes de laine. Tout à mon footing, les flancs déjà griffés par les cactus-oursons, je m’emploie à éviter ceux-ci mais ne prends garde aux déjections à l’apparence inoffensive. J’ai donné un grand coup de pied dans un tas de pelotes et ai bien cru qu’un serpent m’avait mordu : une boule de poils est restée fichée dans ma chaussure, ses épines traversant le pare-pierres de la pointe de pied, pénétrant jusque dans les chairs de mes orteils… Saisissant avec précaution l’oursin comme s’il s’agissait d’un hérisson en furie, j’ai eu beaucoup de mal à l’en détacher : l’épine, non contente d’être une épine dure comme comme du métal, est barbelée… Autant se débarrasser d’un hameçon. Je peux vous certifier que c’est extrêmement douloureux !
Mais cela ne semble pas déranger les animaux qui vivent au sein du redoutable jardin.

Les pelotes d’aiguilles s’accrochent à leurs poils et c’est ainsi que le cactus se disperse, formant ces regroupements ramassés en jardins. Ces forêts sont souvent issues d’un seul et même spécimen. Les animaux, y trouvant leur compte, rassemblent ces pelotes d’épines en amas autour de leur terrier, s’en servant de rempart contre les prédateurs.
Prédateur penaud, les orteils douloureux, je franchis le petit col et passe dans le Désert de Mojave.
Nous sommes à près de 1500m d’altitude, et les premières espèces typiques de ce désert apparaissent : voici l’Arbre de Joshua.

Derrière, les premiers amas de rocher. Il me faut les franchir.

Les roches sont arrondies, comme polies par le temps.

Ces formes granitiques ont été formées par un refroidissement de magma il y a 100 millions d’années, puis poncées par les écoulements d’eau en surface. La pierre a l’air lisse et douce ; il n’en est rien, elle est extrêmement rugueuse, contrairement aux roches affleurant en Yosemite qui ont été polies par le frottement des glaciers. La pierre, ici, est brute.

Je chemine entre les blocs, souvent par-dessus, prenant garde à ne pas tomber : autant se frotter avec du papier de verre. Parfois je croise des réservoirs naturels, recueillant les eaux de pluie, mais pour l’heure ils sont vides, avec comme seul signe visible une ligne sombre de démarcation.

Quand il pleut, ici, c’est fête. En quelques heures, c’est l’éclosion de millions de fleurs qui profitent de l’aubaine. Aujourd’hui, la sécheresse les a laissées endormies ; seuls buissons épineux, yuccas et autres plantes du désert se promènent entre les roches.

Les yuccas, que nous connaissons tous, pour les voir trôner dans nos salons dans des pots en terre cuite, sont, dans le désert de Mojave, des arbres à part entière. Les Arbres de Joshua sont des yuccas, ni plus ni moins. Je croise des spécimens isolés, espérant en voir d’autres. Oui, j’en verrai d’autres. Beaucoup d’autres.

Les rochers, quant à eux, au gré du polissage des ans, prennent des formes variées, parfois surprenantes. L’eau et le vent sont des artistes.

Le soleil, lui, est joueur.

Des formes extraordinaires parsèment le parc. L’homme s’amuse parfois à dessiner la nature. La nature se plaît aussi à sculpter l’homme. Ici dans son plus extrême dénuement.

Je passe sous le regard vieux comme le monde et m’enfuis sans demander mon reste, pour me retrouver un peu plus loin dans un lieu secret.

Plaisir du promeneur ? Extravagance du touriste ? Et s’il me plaît, à moi, de croire que je me tiens en territoire indien interdit ?

Voire en plein sanctuaire Pinto ? (Le peuple Pinto vivait ici au Pléistocène, alors que des rivières coulaient encore dans le bassin portant leur nom).

Dans tous les cas, c’est un geste de l’homme qui apprécie ce que la nature a arrangé. Car il s’agit bien de çà : dans ce désert, les roches ne jonchent pas le sol. Elles sont posées. Je dirais même : agencées. Dans une harmonie artistique surnaturelle.

Je ressors du massif, extrusions plutoniques de granit, appelées monzogranite.

Au-delà, c’est un autre paysage qui s’étend devant moi. Le désert. Aride.

Des amas rocheux parsèment la plaine, rendant la progression lente et difficile : il faut sans cesse les contourner. Remarquez, je préfère ça à une étendue de sable monotone…

Parfois, des petits canyons sillonnent le plateau, vieux souvenirs de rivières oubliées, dans lesquels je m’engouffre pour voir où ils mènent. Lorsqu’il pleut (c’est rare) ces ravines se remplissent des eaux qui s’y précipitent lors des épisodes dits de « flash flood ».

Et toujours ces boulders roulant les uns par dessus les autres.

Voici un autre habitant du désert, l’Oponce, ou cactus raquette comme appelé vulgairement.

Passant près du pied d’une falaise, des voix me font tourner la tête : je ne suis plus seul ! J’avais oublié que l’endroit était la Mecque des grimpeurs californiens qui viennent s’y entraîner l’hiver, quand les falaises du Yosemite sont couvertes de neige.

Je les observe un moment, tandis qu’ils ne se doutent pas de ma présence, puis décampe car le chemin est encore long. Je retrouve quelques Joshua trees, signe que l’aridité est moindre. J’en ai le sourire aux lèvres, et ne suis pas le seul…

Je suis ressorti de la plaine désertique, et c’est le retour des rochers…

Allez, je suis sûr que vous y avez tous pensé…

Derrière, ce que j’ai traversé.

Devant, la montagne de Ryan.

Ce serait trop bête de ne pas monter au sommet !

De là-haut la vue embrasse tout le plateau, désolé avec ses extrusions de granit, déjections erratiques, refoulement plutoniques de vers de terre géants.

Allez je redescends de ma montagne… je retrouve mes boules de pierre et mes yuccas…

…lesquels n’ont plus rien à voir avec les plantes de chez nous ! Ceux-ci mesurent plus de 4 mètres !

De retour dans la plaine, je croise un panneau indiquant la direction de « Lost Horse Mine ». Trop prometteur : la « Mine du Cheval Perdu ». Un petit tour dans le Far West ?
Immédiatement le paysage change. C’est plus pelé. J’allais dire plus désert, mais le désert est souvent beau. Disons que c’est plus… désolé.

Il faut dire qu’un incendie a ravagé toute la vallée il y a peu, grignotant les arbustes déjà rabougris, si secs que le moindre souffle chaud pouvait les embraser. Ce qu’ils ont fait.

Arrivé au sommet de l’élévation, la mine désaffectée. Entre les années 1894 et 1931, la mine a produit 300kg d’or et 500kg d’argent. Johnny Lang l’aurait découvert en recherchant son cheval qui s’était égaré… d’où le nom…

Les arbres de forage sont toujours là, vestiges d’une époque révolue.

Je redescends de la montagne, vers la vallée du même nom, celle du Cheval Perdu. Une petite heure de footing vers le nord parmi les arbres de Joshua me mène près la Vallée Cachée. Un spot incontournable, pointé sur ma carte. Presque un objectif. C’est pour ainsi dire ce nom, que j’ai souligné deux ou trois fois sur le papier, qui a motivé ma visite dans cet endroit.

Hidden Valley. Elle porte bien son nom car elle est engoncée entre des murailles de pierre, on n’y accède qu’en passant entre deux rochers serrés l’un contre l’autre ; de l’extérieur rien ne permet de deviner sa présence. Mais voilà, la vallée est annoncée sur la carte. La carte que possède et scrute tout un chacun… Et comme une route goudronnée passe non loin, flanquée d’un parking pour accueillir voitures, camping-cars, et pour pousser un peu on pourrait dire cars d’excursion pour 3ème âge…la vallée a beau être cachée, tout le monde la trouve et s’y précipite. Pour un peu on y installerait un escalier roulant.
Le résultat est que pour prendre une simple photo comme celle qui suit, il m’a fallu attendre 15 minutes que les promeneurs sortent du champ de vision. Tout ce que j’aime.

Cela dit la visite en vaut la peine. Je ressors de la vallée en jouant des coudes et cours à perdre haleine dans la première direction venue, droit dans le désert, droit dans le silence, droit dans la solitude, loin de mes semblables, préférant la compagnie des Joshua.

N’allez pas croire que je suis asocial ! Ni agoraphobe ! Mais quand je cours dans la nature, je ne passe pas par un tour operator…
En guise de foule, je rejoins celle des arbres de Joshua qui eux aussi se sont regroupés. Une véritable forêt de Joshua recouvre la plaine.

Je l’ai dit plus tôt, l’arbre de Joshua, ou de Josué, est un Yucca. Yucca brevifolia. Ne pensez pas à votre plante de salon, Joshua est d’une autre sorte, c’est un arbre véritable. Leur tronc n’est cependant pas constitué d’anneaux concentriques, comme la plupart de nos arbres à nous, mais d’épaisseurs successives de fibres lui donnant l’impression d’être couvert d’un manteau de fourrure. Le nom de Joshua leur fut donné par des mormons au XIXè siècle qui voyaient en lui la silhouette de Josué, les bras tendus, désignant la terre promise (alors, la Californie). Leurs feuilles constituaient la nourriture des paresseux géants qui peuplaient les lieux à l’époque glaciaire, puis les indiens prirent le relais, utilisant les fibres pour fabriquer paniers et sandales, mangeant graines et fleurs, récupérant le tronc pour leurs habitations, et faisant fermenter les fruits pour en tirer un alcool aux vertus hallucinogènes : parfait pour un voyage chamanique !

Les ombres s’allongent. Le soleil se retire derrière ses montagnes. Je trottine vers le nord, non loin de là, sur les premiers contreforts de Queen Mountain. Je contourne un visage figé dans la pierre,

puis un autre (hey, c’est le même, mais vu de l’autre côté !)

Comme le soleil bascule de plus en plus rapidement, je me hisse sur la première colline venue, histoire de profiter pleinement du crépuscule.

Je me glisse entre deux rochers pour prendre pied sur la crête.

Une petite vue de moi, une fois n’est pas coutume. Vous m’aurez tous reconnu !

Ça y est. Je suis seul au monde, dans le désert, avec mon coucher de soleil.

Oups… pas si seul que ça…

D’ailleurs, à dresser l’oreille, j’entends de la musique et des éclats de voix. Je me rapproche du bord :

Je me trouve au beau milieu d’un campement de grimpeurs ! La civilisation m’aura rattrapé plus vite que je ne pensais…
Tant pis, il y aura au moins un avantage, c’est que je trouverai bien un moyen de rentrer plus facilement jusqu’à mon véhicule…
Je redescends de mon perchoir tandis que les créatures de pierre se réveillent à l’approche de la nuit, prêtes à gober la première lune qui passe à portée.

Voilà, je m’arrêterai là, fourbu, assis sur une pierre, suivant du regard le soleil disparaître dans le chaos de roches.

La pleine lune prend le relais, montant dans le ciel au-dessus des arbres de Joshua, prenant soin à ce que la nuit ne puisse être nuit.

Le lendemain, l’avion qui me ramène des Etats-Unis décolle de Los Angeles, et met le cap plein est, au lieu de prendre nord-est vers Las Vegas. 10 minutes plus tard, nous voici verticale de Palm Springs, et sous mes yeux défile le sud du désert de Mojave, le parc national de Joshua Tree, et c’est avec le sourire aux lèvres que je parcours du regard tout mon périple de la veille…

Sur la photo précédente, mon périple aura débuté en bas à droite de la photo, poursuivi à gauche (montagne de Ryan).
Sur celle qui suit, la montagne de Ryan à droite, en partie sud de ce même massif, Lost Horse Mine, et enfin, dans les amas rocheux de couleur blanche en haut de la photo, la Vallée Cachée.


Cela fait des années que j’emprunte cette ligne, et c’est la première fois que je passe par là… Le hasard des courants atmosphériques et du trafic aérien qui décide de la route à suivre… Les arbres de Joshua auraient-ils soufflé un petit mot au vent ? Beau petit clin d’oeil en tout cas, comme quoi rien n’est jamais anodin.

Adieu Mojave ! Adieu Joshua ! Je reviendrai !

Photos HD sur la page Joshua Tree, et une petite vidéo…

https://vimeo.com/34968669

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • Tat

    13 janvier 2012

    Un de tes plus beaux,superbes et émouvants reportages !! Mais était-il nécessaire d’aller voir si les cactus piquaient? Et comment font les lapins pour entourer leur terrier avec des épines de cactus oursons sans se piquer? It was just a joke ! C’est magnifique!

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    • Jphi

      14 janvier 2012

      Merci Tat pour ton commentaire… je comprends que tu aies trouvé mon histoire émouvante, surtout quand je me suis piqué le pied sur le satané cactus ! Décidément entre les ours de la Sierra et les cactus-oursons de Mojave, je suis poursuivi !

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  • le concombre masquado

    14 janvier 2012

    Franchement, JPhi, laisse tomber ton boulot et fais des reportages photos avec commentaires, même moi, un caussenard ( cad prés de ses sous ), j’en achèterais. J’ai néanmoins ressenti une légère amertume lorsque tu passais prés des grimpeurs : ne t’inquiète pas, un jour, tu sauras grimper. Je t’embrasse ( enfin, pas trop, ne rêve pas ).

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    • Jphi

      14 janvier 2012

      T’as raison le Concombre… mais mon métier me permet (pour l’instant) de faire ces reportages photos… Tu crois que si je change de boulot et que je fais reporter, ils me laisseront piloter aussi des engins volants ?
      Quant aux grimpeurs tu as raison. Je suis resté assis une demi-heure à les regarder. Un jour peut-être…

      A+ le concombre.

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  • Lafan

    17 janvier 2012

    Waouh! C’était grand!
    T’aurais pu laisser, toi aussi, en hommage aux Pinto,
    ta petite statuette…
    J’ai bien aimé le rocher qui sourit!
    Tes photos sont magnifiques et ton récit vivant…
    J’avais, parfois, l’impression de me trouver tout près…
    ….bah, laisse, je me suis sûrement fait piquer par une aiguille de cactus chamanique…. en te lisant…oui, oui…c’est ça !

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    • Jphi

      18 janvier 2012

      Mais si je l’ai laissée ma petite statuette ! Tu n’as pas vu la photo où je fais rouler la tête ?

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