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Comme à chaque fois que je vais à Canton, ma femme me demande si je suis Canton. Oui ! Je prévois de quitter les avenues polluées de cette mégapole pour une contrée plus sauvage et plus profonde de la Chine : le Guangxi, province autonome, et plus précisément dans le xian (district) de Guilin. Où m’attendent les dents de dragon de la rivière Li Après quelques heures de repos suivant le voyage Paris-Canton, me revoilà dans un avion d’une compagnie chinoise, tôt le matin, direction la petite ville de Guilin. Mais je n’irai pas la visiter, destination pourtant prisée des touristes chinois, me rendant directement 50km plus au sud vers l’embarcadère de Yangdi, sur les rives de la rivière Li. J’envisage une sortie tranquille, d’une journée maximum : tout juste remis de mes côtes fêlées de ma dernière balade, je reprends doucement ! Je ne m’attarde pas et arrive rapidement au bord de la rivière. Le ton est donné. Les dents de dragon sont là, dressées : les montagnes karstiques donnent une impression forte qui ne se détachera pas de tout mon voyage. Des radeaux de bambou attendent sagement leur passager. De drôles de véhicules sont stationnés sur le bord de la jetée. On dirait des reliques de la 2ème (1ère?) Guerre Mondiale. Mais non : ils fonctionnent ! Allez, je monte à bord d’un radeau de bambou. Ceux-ci en sont la version moderne : le bambou s’est transformé en PVC, mais j’ai vu de nombreux pêcheurs debout sur les bamboo rafts d’antan ! 20 yuan pour passer de l’autre côté. Probablement dix fois plus cher pour moi que pour un Chinois… De l’autre côté, des champs de mandariniers. Normal, on est au pays des Mandarins Je poursuis sur le sentier qui relie les villages disséminés sur les berges de la rivière Li, entre Shuiyantou et Langshi. D’imposantes formations karstiques m’environnent. Les karsts sont des roches calcaires érodées par des phénomènes hydrauliques ou hydrochimiques. Exactement comme dans nos Cévennes : je suis dans les causses chinois. Sauf qu’ici ce n’est pas la pluie mais le retrait progressif d’une mer intérieure qui a équarri, escarpé, ciselé ces pains de sucre, y creusant des grottes aux formes exotiques. J’arrive à Langshi. Petit village de pêcheurs oublié, mais pas par la technologie : les antennes de téléphone portable sont déjà installées sur les toits. Derrière, le Tigre qui escalade la montagne à cinq doigts. Les Chinois ont le verbe imagé. Je traverse une nouvelle fois le fleuve sur un bac. Jusqu’aux flancs d’une autre montagne de karst, au nom de Grand-Père qui regarde une pomme. Je ne sais où est le grand-père ni la pomme, tout est question de point de vue, ou d’imagination. Et je passe sur la Colline de la Cage aux Poules, ou le Lion qui regarde les Neuf Chevaux… Peut-être que tout deviendrait clair si je regardais les montagnes à partir du fleuve, comme ce pêcheur qui remonte le courant arcbouté sur sa perche. Car ce sont probablement ces pêcheurs qui ont donné tous ces noms aux collines en attendant le poisson. En Chine, le pêcheur est poète. Une barge clapote doucement devant le Pic de la Queue de Poisson. Quand je vous dit que le poisson a quelque chose à voir avec ces montagnes. Le sentier est bordé de bambous. Ça va je connais les bambous, habitant près de la Bambouseraie d’Anduze… Je ne suis pas dépaysé pour un yuan. Mais ceux-ci dépassent les 20cm de diamètre ! Ah… Je pense que je me rapproche d’un village : voilà les latrines… Un habillage de brique autour d’un trou dans la terre… C’est ainsi que s’annonce la vie dans les campagnes chinoises : le premier signe n’est pas un rond-point fleuri, mais une fosse à purin. Remarquez, il vaut mieux croiser la merde avant d’entrer dans un village fleuri que franchir un bosquet de fleurs et visiter un village de merde. Voici Quanjiazhou. Et leurs habitants, les Quanjiazhouiens, jouant aux cartes locales. Non, les Chinois ne jouent pas au jeu de go, enfin pas tous. Je suis rassuré, j’avais peur de les voir jouer à une console de jeu ou pianoter sur un téléphone portable. La technologie est une infection qui s’infiltre jusqu’au plus profond des contrées, intrusif, indélébile, pervertissant villes et campagnes. J’écris ces lignes sur mon mac, un casque Haute-Fidélité sur les oreilles, écoutant un morceau sur mon lecteur MP3 fabriqué en Chine, en maugréant contre ces pauvres Chinois qui n’auraient pas le droit de goûter à un échantillon de monde moderne, pour sauvegarder l’image que je me fais de la Chine profonde : des files de paysans grattant la terre, habillés d’un pyjama bleu et coiffés d’un zhuli en paille… Des piments sèchent près de la fontaine du village. Probablement pour la Guìlín làjiāojiàng, la sauce locale pour agrémenter les poissons-chats frits du soir… Je ressors du village et me retrouve dans les vergers : des mandariniers à perte de vue. Ils doivent fournir la Chine entière ! Ou le monde, même… Ah le voilà mon paysan ! Mais où est son chapeau pointu ??? Il faut que je me fasse une raison. Tintin et le Lotus Bleu, c’est fini. Allez, je continue à petite foulée sur mon sentier, à la recherche de ma Chine antique. Quand j’entends le vrombissement du monde moderne, masquant le glissement des étraves fendant les eaux du fleuve, ponctué de braillements, je me dissimule derrière un buisson. Je ne veux pas que ce siècle me rattrape. Pas encore. Devant, la rivière s’élargit. On se rapproche de la montagne des Neuf Chevaux sur la rive gauche et, sur la rive droite, de celle du Lion qui regarde les Neuf Chevaux. Ça ne s’invente pas. Là-bas, les petits Chinois n’ont pas besoin de livres d’enfant : ils n’ont qu’à regarder dehors et dire tout haut le nom des montagnes… Au détour d’un virage, je traverse un cimetière. Celui de Lengshui. Les cimetières chinois sont comme tous les cimetières du monde : un caveau, une pierre, des inscriptions. En arrivant vers Lengshui, embarcadère pour traverser la rivière une troisième fois, c’est la ruée sur les flots : des dizaines de bamboo rafts sont lancés dans une course effrénée sur le fleuve, venant de je ne sais où, se rendant je ne sais pas plus où. C’est le périph’ à 17h, tout le monde rentre du boulot… Le sentier se transforme en un ruban de béton tout neuf, signe que Lengshui est sur la voie du modernisme, lui-aussi. Le bonheur de l’homme se mesure au goudron. La petite vieille qui traîne ses sandales en ramenant son bois pour la cuisine du soir le sait bien : quelques mois auparavant elle piétinait dans la boue. Il est temps de traverser. Je m’acquitte des 20 yuan négociés de pied ferme pour ne pas payer les 50 demandés (que les Chinois appellent plutôt kuai d’ailleurs), sous l’oeil des Huit Surnaturels traversant la Rivière. Le Capitaine du bamboo-raft fait du zèle : au lieu de me déposer sur la rive adverse, il descend le cours du fleuve. Je lui fais signe de m’arrêter mais il n’en fait qu’à sa tête, pensant peut-être m’emmener jusqu’à Xingping. Je dois me démener pour qu’il rapproche son bateau de la rive et saute dans l’eau peu profonde. Il s’éloigne en haussant les épaules. Je grimpe le petit talus qui me sépare d’un sentier, qui se transforme rapidement en une piste plus large. Je rejoins un réseau de fils électriques : on se rapproche de la civilisation (moderne). À un détail près toutefois : ici les poteaux électriques sont en bambou. Comme quoi le moderne a toujours des racines dans le passé… Puis la piste devient béton. La poussière est chassée, remplacée par le gravier. Les talus d’herbes bannis, ce sont des trottoirs déserts. Mais ça fait bien. Ils ont même poussé le vice jusqu’à recouvrir ces trottoirs de calades sur des kilomètres : comme personne ne peut marcher ni rouler à vélo sur ce tapis de galets, il n’y a que les poules pour s’y promener ; les passants marchent sur la route. On arrive au bout de quelques kilomètres à Xingping. On ne voit pas encore le village, mais l’effervescence sur le fleuve l’annonce. Ça grouille. Manque plus que les klaxons. En face, une célèbre montagne. Connue sous le nom de « 20 Yuan Scenery », la montagne des 20 yuan. Et pour cause, c’est elle qui est représentée sur la face des billets de 20 yuan. Je range mon billet de 20 kuai, sous l’oeil d’un buffle chinois, et m’apprête à entrer dans Xingping. On a changé de province. Xingping est un bourg de la province du Shaanxi. Sur la carte, c’est un tout petit point. Un village à peine référencé, chez nous ce serait un lieu-dit. Mais au moins, ici, on ressent la Chine. La vraie, pas celle des gratte-ciel. Celle des ruelles, des hutongs, et des maisons de thé. On y croise encore des constructions datant du 18è siècle, du temps où la ville verrouillait le fleuve. Évidemment, aujourd’hui, il reste difficile de s’immerger totalement. Il y a toujours le détail qui vous ramène à la réalité : le monde moderne ne se laisse pas oublier si facilement. Dans la rue, des chinois jouent aux dames. Non, toujours pas au jeu de go. Je traverse toute la ville et déboule soudain dans une avenue touristique. Horreur. Je hais le touriste, même s’il est chinois, même si j’en suis un. J’abhorre surtout le déballage de mauvais goût qui l’habille, qui l’attire, qui l’accompagne, qui le soudoie, comme un lampadaire faiblard affriole ses papillons. Je pousse un cri et je m’enfuis au loin. Au bout d’un kilomètre, je fais demi-tour. Il n’y a plus de chemin, mais une route encombrée de voitures, de camions, de tracteurs. Elle n’a que deux voies, mais on y roule à trois ou quatre de front. Les Chinois ne regardent pas si quelqu’un arrive en face avant de doubler. Ils doublent, c’est tout. Ne trouvant aucun plaisir à courir à tombeau ouvert, je retourne en ville, avise un bus pour Yangshuo, m’y engouffre, enfourne 7 yuans dans la paume du chauffeur, me pelotonne contre la vitre et m’endors pour les 20km de route. Plus tard, je me rendrai compte que je suis passé non loin d’un sentier qui m’aurait emmené dans un village perdu, inaccessible par la route à cause des berges escarpées, aux maisons datant de près de 500 ans. Manque de préparation de ma petite sortie… Je serai passé à côté de ce que je cherchais ! Bah… Je le garde pour la prochaine fois ! Je me réveille une demi-heure plus tard. Yangshuo. Un gros bourg qui peine à grossir, engoncé entre les montagnes de karst et la rivière Li. Au milieu, le pic du Lotus Vert. Les quartiers s’enroulent autour des montagnes comme une marre de béton. J’aperçois une petite pagode tout en haut d’une colline de karst. Un beau point d’observation. Je monte les marches au pas de course, trop content de faire un peu de dénivelé dans la journée : c’est le comble de courir entre les montagnes sans pouvoir y monter. Car les dents de karst ne se gravissent pas, elles s’escaladent. De là-haut, on a une vue d’ensemble sur cette ville de 300000 habitants. Comme le soleil n’est pas encore couché, je redescends et avale les 7km qui me séparent de Moon Hill, la Colline de la Lune. C’est dans cette montagne qu’a été taillée la Lune. Aujourd’hui, c’est un spot bien connu d’escalade. De là-haut, je regarde le soleil se coucher entre les dents de karst. Puis je rentourne en ville, la nuit tombe. Je suis fourbu et manque de sommeil : je tombe dans les limbes dès 19H. Le lendemain, levé avec le soleil. Visite de la ville sans les touristes. Je décide de remonter sur la colline de la pagode pour profiter d’une vue globale. Des bancs de brume remontent du fleuve Li. Il faut dire que la température ne dépasse pas les 4°C, la rivière fume. Les Chinois sont des lève-tôt. Ils viennent profiter de la vue, comme moi. Ils discutent dans les pagodes, dans les parcs. D’autres se rassemblent pour la séance de Tai-Chi matinale. Pendant ce temps, le touriste occidental ronfle, bienheureux, sous sa couette en plume d’oie. Je poursuis ma visite au pas de course. Je dis au pas de course, car je suis pressé, mon retour vers Canton est programmé, je dois quitter les lieux à 8h30 ! Voici la devanture d’une des nombreuses agences d’escalade de la ville. Il n’est pas bon être pressé dans ce pays. On voudrait s’arrêter chaque minute pour capturer ces instants. Ma petite foulée me mène jusqu’aux rives du fleuve Li. Celui-ci s’étire, repousse du pied sa couverture de brume. Un radeau de bambou traverse la rivière : un pêcheur au cormoran rentre au port. Les pêcheurs au cormoran utilisent leurs oiseaux qu’ils ont capturé en mer et dressé. Les Grands Cormorans ont une ligature à la base du cou, les empêchant d’avaler les plus gros poissons qu’ils rejettent dans la barque, mais laissant passer les plus petits. Le pêcheur et son oiseau entretiennent un lien affectif étroit : l’homme caresse et masse souvent l’oiseau ; celui-ci est libre, il revient de lui-même sur le radeau. Le pêcheur est très fier de me montrer ses cormorans et les exhibe pour une photo. Mais bon je le soupçonne aussi de quémander un petit billet… Le soleil monte vite dans le ciel, arrosant les toits de Yangshuo. Il est plus que temps de repartir. Une heure de route jusqu’à Guilin, puis je reprends un vol pour Canton, survolant la contrée parcourue à pied si rapidement. Tandis que j’admire par le hublot les paysages de karst, je prépare déjà dans ma tête mes prochaines sorties : j’ai trouvé un nouveau terrain de jeu ! Une petite vidéo :

Ainsi que d’autres photos HD.

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • 7 décembre 2011

    Quel beau voyage et quel dépaysement!
    Je comprends mieux que tu es envie de fuir toute forme de modernisme, ces endroits sont tellement chargés d’histoire!

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  • Jphi

    7 décembre 2011

    Merci thepinkrunner ! C’est une région que je viens de découvrir. C’était un premier contact, je pense qu’il y aura d’ici peu d’autres petites explorations du coin…. Prometteur !

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  • 7 décembre 2011

    Encore pleins de souvenirs !!!!!! THE globtrotter !!! Mr Jphi !!
    super le CR, je me régale à chaque fois

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    • Jphi

      8 décembre 2011

      Cool, vivement le prochain, alors !

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  • Lafan

    7 décembre 2011

    Juste magnifique, authentique…
    Merci pour ce beau voyage…
    Hen hao !

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    • Jphi

      8 décembre 2011

      Hen Hao Leh !

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  • phil françoise

    7 décembre 2011

    Magnifique ! encore un beau CR qui nous permet de voyager un peu avec toi … merci !
    Par contre à titre perso .. je pense que les côtes fêlées ne sont plus d’actualité

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    • Jphi

      8 décembre 2011

      T’as raison pour les côtes fêlées, c’est du passé.. mais tu as bien failli me les re-fêler au Duo à finir à ce rythme infernal !!!

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  • Tatine

    7 décembre 2011

    j espère que tu as bien cité les magnifiques noms des montagnes à ta petite poétesse préférée qui nous écrira une superbe histoire comme elle seule sait les inventer du haut de ses dix ans ,digne émule de son papa dont les textes sont aussi beaux que les photos.

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    • Jphi

      8 décembre 2011

      Si je lui raconte une histoire avec ces noms de montagne je crois qu’elle va me rire au nez !

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  • Garcia Laurent

    7 décembre 2011

    J’étais avec toi sur ce vol vers Canton, et je comprends tout à fait que tu préfères fuir la ville pour aller te balader dans cette région !!! Très joli site, je reviendrais voir régulièrement tes excursions pour me donner des idées sur mes prochaines escales.
    A bientôt

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    • Jphi

      8 décembre 2011

      Salut Laurent ! Bienvenue sur ce blog ! Reviens quand tu veux, pars à la pêche aux idées, si tu as besoin d’un renseignement n’hésite surtout pas… A+ sur un prochain vol !

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  • 12 décembre 2011

    Ola

    C’est toujours un plaisir de te lire ….de belles photos
    Merci de nous faire voyager

    Sportivement

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    • Jphi

      14 décembre 2011

      De rien Run’30 tout le plaisir est pour moi, et ne vaut que s’il est partagé…
      Au plaisir de se croiser un de ces 4 sur une course, j’ai vu que tu avais programmé le Trail aux Etoiles…

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  • Sylvaine BL

    15 décembre 2011

    Vraiment sublime toutes ces aventures sur notre magnifique planète… Dédé doit être fier là où il est d’avoir un petit fils qui arpente tous les plus hauts sommets du monde comme il aurait sûrement aimé le faire. Je parcoure avec plaisir chacun de tes nombreux voyages avec l’impression d’être dans une autre dimension à chaque fois. Bisous de Vaivaine

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    • Jphi

      16 décembre 2011

      Tiens quelle surprise ! Très content que tu viennes te balader par ici !
      Tu as raison pour Dédé. Souvent, quand je suis dans des endroits un peu éloignés, je me dis que mon goût pour le voyage et la découverte du monde ne doit pas venir de bien loin…
      Bisous !
      PS: les « plus hauts sommets du monde »… je me cantonne aux moins de 5000 quand même…. Bizz

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  • macfly20222

    16 juin 2012

    merci Jean phi mais mon dieu que cet endroit ressemble à la baie d’ha long terrestre au vietnam j’ai l impression d’y etre retourne grace a ton reportage merci

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    • Jphi

      20 juin 2012

      Tout à fait vrai ; il faut dire que la Baie de Ha Long (ou Baie d’Along) n’est pas très très éloignée des rochers karstiques de Guilin : dans les 400km à vol d’oiseau. Il y a probablement une similarité géologique… Je ne suis pas encore allé là-bas, j’espère le faire un ces 4 !

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  • 13 septembre 2015
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