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Mexique.

État du Michoacán. Vallée de Mil Cumbres, les mille sommets.

Dans une montagne, au creux d’une forêt d’oyamels, niché à plus de 3000m d’altitude se cache un sanctuaire d’un genre un peu particulier…

Pour s’y rendre, il faut plusieurs heures de voyage, par les autoroutes mexicaines,

traversant quelques villages typiques,

avec leurs toilettes au fond du jardin.

Au fin fond du Mexique il n’y a pas l’eau courante, mais il y a des églises…

Pour finir sur des pistes en terre battue, serpentant dans la montagne, au risque de crever un pneu à chaque instant.

Nous sommes à 3300m, j’entame ma balade à petites foulées dans la forêt. Le souffle est un peu court, c’est normal je ne suis pas encore acclimaté à l’altitude. Cette sortie sera une bonne séance pour l’expédition au Nevado prévue le lendemain…

Musique.

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Le sentier se faufile entre les arbres, grimpant dans une forêt assez épaisse. Au début on croise des cèdres, des cyprès, des pins puis de plus en plus d’oyamels, les « sapins sacrés » en langage Nahuatl.

Le sentier monte ainsi jusqu’aux crêtes de la montagne, à 3500m d’altitude. Les cyprès et chênes verts disparaissent, laissant la place aux seuls oyamels, rois de la montagne. Au bord de la falaise, me voici aux portes d’une vallée préservée, un lieu qui possède une spécificité… extraordinaire.

Car au creux de cette vallée s’opère chaque hiver, depuis des milliers d’années, un phénomène prodigieux, qui ne se produit nulle part ailleurs sur Terre.

On pourrait presque saisir, dans l’air raréfié, un subtil bruissement, comme des feuilles agitées par le vent. Pourtant pas un souffle d’air ne trouble le calme de la vallée. L’impression d’entendre une pluie légère, malgré le ciel bleu, tomber délicatement sur la frondaison, mais quand on tend l’oreille, ne persiste que le sentiment d’avoir rêvé…

Je me tiens debout, interdit, à l’entrée d’un sanctuaire : le Santuario Mariposa Monarca. On se sent presque intimidé, comme s’il était interdit d’entrer là…

Je me décide. Je m’enfonce plus au coeur de la forêt épaisse. Là, après avoir marché au hasard entre les troncs de plus en plus serrés, j’arrive en un lieu où les arbres ploient sous le poids de leurs branches chargées.

Les branches fléchissent vers le sol, supportant des chapelets de fruits orangés, ou de feuilles, et celles-ci bruissent, s’agitent, frémissent, palpitent comme dans un souffle d’air… plutôt frétillent… grouillent… Eh non ce ne sont pas des feuilles… Je ne marche pas non plus sur un tapis de feuilles mortes…

Car les arbres ne portent ni feuilles ni fruits, mais juste des papillons…

Je l’ai dit : les papillons poussent dans les arbres. La preuve…

Ils sont partout, recouvrent tout. Ce n’est pas de la fourrure mais des millions d’ailes qui s’agitent.

Le papillon est orange, reconnaissable entre mille : le monarque. Le papillon-roi.

Le monarque n’est pas né ici, mais au Canada. Dans la région des Grands Lacs, à des milliers de kilomètres de là ! Tous les hivers, quand les jours raccourcissent et les températures chutent, il migre vers le sud, et vient nicher ici, au Mexique, dans cette vallée, toujours au même endroit… dans le sanctuaire des papillons…

Chaque année, donc, on estime à 20 millions le nombre de monarques qui migrent, avant de repartir au printemps pour aller pondre dans les champs de maïs et de soja au Canada, où pousse une plante particulière, l’asclépiade. Cette plante, autrement appelée herbe à ouate, est connue pour ses vertus antiseptiques, mais aussi pour ses capacités vénéneuses car elle est utilisée depuis des siècles contre les rongeurs. Les monarques ne vivent que là où pousse l’asclépiade, car si le papillon peut se nourrir de nectar de fleurs (notamment pour accumuler de la graisse et de l’énergie avant et pendant son long périple), la chenille du monarque, elle, se nourrit exclusivement de feuilles d’asclépiades. C’est pour cette raison que le monarque est lui aussi toxique : un animal qui mangerait un papillon ou une larve serait aussitôt pris de vomissements.

C’est une odyssée extraordinaire que ce voyage : les papillons parcourent plus de 100km par jour pendant plus d’un mois, à près de 1000m au-dessus du sol et ce dans les deux sens, une fois à l’automne, une fois au printemps. Traverser tout un continent pour aller toujours au même endroit, sans se tromper. Un grand mystère… C’est probablement le seul insecte au monde à faire cela.

On ne sait pas comment ils se dirigent dans le ciel, mais on pense qu’ils laissent une graisse sur l’écorce des arbres et sur le sol, qui attire les générations suivantes. Quand ils remontent vers le nord, pour se reproduire, ils migrent par étapes, suivant l’éclosion des champs d’asclépiades, produisant plusieurs couvées et donc générations de papillons afin de rétablir la population décimée par l’hivernage, qui peut être dramatique selon les années et les tempêtes. Alors qu’un papillon normal a une longévité de quelques jours seulement, voire semaines, le monarque lui vit neuf mois !

D’autres dangers guettent le monarque, comme l’utilisation de l’herbicide qui détruit les asclépiades, ou la déforestation. Le gouvernement mexicain l’a bien compris et a créé ces réserves de biosphère, véritables sanctuaires pour le papillon, car l’espèce pourrait fort bien disparaître…

Pour l’heure, le monarque voltige dans le ciel, indifférent, léger. Il volète entre les arbres, et la forêt résonne du bruissement de ces millions d’ailes fragiles.

Quelques-uns prennent le temps de venir me saluer,

puis je me retire, à reculons, prenant garde à n’en blesser aucun, et quitte le sanctuaire des papillons.

Never Hesitate - Never Regret

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