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Le Nevado de Toluca est un volcan mexicain, non loin de Toluca, ville voisine de Mexico. Ce n’est pas un inconnu pour moi puisque la dernière fois j’avais dû interrompre mon tour à cause du mauvais temps…

Il fait encore nuit quand je quitte les faubourgs endormis, mais pollués, de la ville tentaculaire de Mexico. (Comme elle porte le même nom que le pays, on l’appelle D.F. pour Distrito Federal)

La ville de Mexico est une créature monstrueuse. Un phocomèle de béton, mélange de bidonvilles, de façades joyeuses et colorées, de grillages électrifiés, de jardins mexicains, d’azulejos et de cathédrales, qui lance sur le plateau à 2200m d’altitude ses armées de camions à la fumée noire, ses vendeurs ambulants, ses cireurs de chaussures, ses mariachis, ses 100000 coccinelles vertes (les taxis pas les insectes, quoiqu’en mode disparition aussi car ils sont remplacés par de banales voitures), ses 5 millions d’autos, ses oléoducs, périphériques, autoroutes, et qui s’étire plus à l’horizontale qu’à la verticale, comme une tache grise envahissante, une pieuvre qui a tellement enflé que ses tentacules disparaissent dans son ventre : la mégapole, dépassant les 100km de diamètre, a avalé les collines environnantes, et continue de s’étendre inexorablement, poussée par la démographie et la saturation, vomissant ses 20 millions de chilangos qui ne seront arrêtés que par la ceinture de sommets culminant à 5000m d’altitude.

De ce fait, le vent ne chasse jamais le nuage de pollution : 15 millions de litres d’essence se transforment chaque jour en particules qui sont stockées là, au-dessus de la cuvette, comme une chape mortelle, ramassée par les pics de la Sierra de las Cruces, la Sierra de Ajusco et la Sierra de Guadalupe, et densifiée par l’inversion thermique comme un couvercle opaque qu’on presserait sur la ville.

Il ne faut pas courir à Mexico. Il n’y a pas d’air. Mais il y a du carbone. Autant faire de l’hyperventilation dans un tonneau de dioxine…

Voilà pourquoi j’ai pris cette voiture, lancée sur les autoroutes au petit matin, vers un sommet à 4700m histoire d’étirer le cou vers un peu d’air pur…

Je traverse la ville de Toluca, ville industrielle, puis quelques villages comme San Juan de las Huertas. A l’horizon, un éperon rocheux se distingue dans la brume : le Nevado. Ou Xinantécatl en langage nahuatl, qui voudrait dire le Seigneur Nu.

Le village de Raices est le dernier traversé dans la vallée de Zacango avant d’attaquer le flanc du volcan. Raices est plus un hameau qu’un village d’ailleurs, ses habitants se nourrissent de leurs poules et du lait de leurs chèvres, lavent leur linge au battoir. Loin du tumulte de la ville de Mexico.

Je gare ma voiture au pied des premiers contreforts. Le sol est encore gelé ; le soleil est à peine levé.

Il se glisse entre les arbres et dissipe le givre instantanément. Le soleil est puissant par ici, surtout à cette altitude (nous sommes déjà à 3500m) : quand ses rayons se posent sur la gangue de glace, celle-ci ne fond pas, elle s’évapore directement… elle se sublime… joli mot pour « partir en fumée »…

Je visse mon casque sur les oreilles. C’est parti à petites foulées.

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Le chemin que je suis dans la forêt est fait de poussière noire, résidu de volcan. Aujourd’hui, c’est une traînée blanche que je foule, poudre blanche sur poudre noire.

L’herbe ici est particulière, c’est que le volcan est chevelu…

La pente se fait plus forte, et ces fameuses touffes d’herbe rendent la progression plus difficile. J’ai l’impression d’enjamber des têtes hirsutes !

Puis on sort de la forêt, d’un seul coup. Comme si les arbres s’étaient tous donnés le mot : « stop, on ne va pas plus haut ». Comme s’il y avait une barrière invisible, la forêt s’arrête tout net. NO PASAN.

Et le sommet du Nevado apparait, tête rocheuse s’extirpant hors des champs herbeux. Oui, sauf que ce n’est pas le sommet, mais le bord ouest du cratère, le sommet lui-même est caché derrière, il me faudra en faire tout le tour avant de l’atteindre.

J’ai toujours été impressionné par la régularité avec laquelle la flore respecte les lignes de niveau. On l’a vu, la forêt a une frontière nette, l’herbe aussi. Chacun sa place. On le voit bien sur la photo suivante. Forêt – pâturages – roches. Cours de géographie de CP.

Ici, à 4100m, la plante reine est… le chardon.

Autre frontière bien nette, entre l’herbe, et le néant :

Une récente coulée de lave a dévalé les pentes du volcan et a tout réduit en cendres sur son passage, j’ai dû sauter par-dessus les flots de lave en fusion, évitant les nuées ardentes, zigzaguer entre les braises fumantes… Oui bon, d’accord, le volcan est en sommeil, sa dernière éruption explosive eut lieu il y a 10500 ans, balançant dans l’atmosphère l’équivalent du Pinatubo, avec d’importantes coulées pyroclastiques. Ici ce n’est qu’un petit feu de broussaille qui a noircit quelques touffes d’herbe… D’ailleurs si une telle éruption devait arriver aujourd’hui, c’est toute la ville de Mexico et 30 millions de mexicains qui disparaîtraient d’un coup.

Là, par contre ce sont d’anciennes coulées de lave, plutôt des dépôts de ponce qui datent justement d’une dernière éruption, moins forte mais plus récente, il y a 3300 ans. On observe bien l’impression générale de « coulée ».

Là-haut, sur la crête, la lune se lève. La lune vue de la lune…

Je continue mon footing à 4100 mètres d’altitude sur la piste qui mène au bord du cratère. La route est encore longue car je veux la suivre jusqu’au bout, et faire le tour de l’éperon nord-est pour entrer dans le cratère par la faille est.

Le soleil est juste au-dessus du cratère, et comme la pente du volcan avoisine les 45° les rayons sont rasants, le soleil joue avec le volcan… Les ombres bougent avec une vitesse effrayante ; on dirait que le volcan respire et se retourne sous son plaid broussailleux.

J’arrive près de quelques habitations autour d’un petit parking.

C’est la fin du voyage pour les véhicules. Car évidemment, la plupart des alpinistes qui viennent se frotter au cratère viennent jusqu’ici en voiture. Pourquoi s’en priver ? Un petit sentier permet ensuite de couper, sautant par-dessus une élévation, pour retomber dans le cratère. Direct en voiture, direct dans le trou, un peu comme les randonneurs du mont Fuji montent en car jusqu’à la 5ème station, s’économisant la moitié de l’ascension… Je préfère partir du bas, et faire tout le tour. Mais je ne suis pas un exemple à suivre, il est vrai.

Bref je poursuis sur la piste, jouant avec le soleil, au milieu des coulées de téphras…

Derrière moi, le bord du cratère, façade sud-ouest, et donc le sommet à 4700m se laissent apercevoir, dépassant d’une bonne tête le flanc nord. On distingue d’ailleurs le fameux sentier emprunté par les randonneurs motorisés qui saute le petit col…

Le cratère du Toluca a une forme de C. Je viens de contourner la branche supérieure et me présente donc dans l’ouverture, entre les bras du C. Le cratère apparait en entier devant moi.

J’ai prévu d’en faire le tour par la gauche, dans les sens des aiguilles d’une montre, et donc de franchir le sommet, dont on voit la pointe, dans le premier tiers de la progression. On voit déjà les sentiers, tracés dans les scories, en partir à l’assaut.

Pour l’heure, petite pause. Il faut dire que nous sommes à 4200m et que cela fait déjà 10km que je parcours, dont 5km à courir, et à cette altitude autant multiplier les distances par 2 ou 3. Je suis au fond du cratère, sur les rives du Lac de la Lune (Lago de la Luna), près d’un imposant dôme de dacite, relativement récent, nommé el Ombligo, le Nombril.

Il y a un autre lac derrière, que l’on verra assez vite apparaître, nommé el Lago del Sol, le Lac du Soleil, beaucoup plus grand mais moins profond que le Lac de la Lune. Des plongeurs ont retrouvé dans ces lacs des offrandes, de l’encens, des statues du Dieu de la Pluie (Chaak) et du jade sculpté.

Fin de la pause. Je range ma gourde et attaque la pente, pour de bon. On libère les 4200m.

Tiens, justement le voilà. El Lago del Sol… Autant s’habituer tout de suite à sa présence, car il fera partie du paysage pendant toute la progression. Oui, le tour du cratère sous-entend qu’on tourne autour du centre, et comme le lac est au milieu, on ne le quittera jamais… Ni le Nombril d’ailleurs.

Tandis que je monte doucement parmi l’ombre des nuages, le souffle relativement court tout de même (on le sent qu’on est en altitude !) je me retourne et de là on remarque bien l’ouverture du volcan, la bouche par laquelle le Nevado a vomi les coulées de blocs et de cendres durant le Pléistocène, couvrant plus de 600km², et par laquelle je suis entré.

Faisant face au nord, je contemple le fond du cratère, le Nombril séparant le Soleil de la Lune. D’ailleurs je dis cratère, mais c’est plutôt une caldeira. La différence est explosive : l’une est ce qui reste une fois le premier effondré…

Je continue sur ma lancée, passant les 4500m, vers les crêtes, et profite du paysage (façon de dire que je fais quelques pauses pour réoxygéner les muscles…)

Vers le Sud, c’est le bord extérieur du volcan. Les vallées dans lesquelles il a déversé tout le contenu pyroclastique de son estomac.

La pente devient raide, plus de 45 degrés. A cette altitude, non acclimaté, c’est un peu exténuant. J’ai arrêté de courir, bien sûr. Mais même marcher n’est pas très facile.

Derrière la proéminance se profile le sommet du volcan : le Pico del Fraile, 4690m.

Enfin presque. Car celui-ci est en arrière-plan sur la photo ci-dessus. Et juste devant se dresse une muraille rocheuse en interdisant l’accès. Passer par-dessus ? Impossible pour moi, trop dangereux. La roche est friable. Il ne s’agit pas de rocs de granit, on est sur la couronne d’un stratovolcan, c’est-à-dire un volcan type Fuji, qui s’est construit en vomissant couche après couche, se développant en se hissant sur ses propres déjections, avec des pentes dépassant les 50 degrés… Les roches sont des téphras, des pyroclastes, des roches disposées ainsi parce que le volcan les a posées là, dans un équilibre précaire. Il n’y a pas de sol, rien n’est fiché en terre, tout est posé.

Je préfère en faire le tour, je ne suis ni équipé ni entraîné pour l’escalader. Le sentier semble choisir la face sud, la face extérieure, et descend assez bas dans les scories. Trop bas à mon goût.

[floatquote]Tenzin Gyatso, XIVè Dalaï-Lama[/floatquote]Quand deux chemins s’offrent à toi, choisis toujours le plus difficile, c’est celui qui t’apportera le plus de joie.

Je choisis de contourner le mur en descendant par la face nord.

Pas par courage, ni par choix de la difficulté, mais par flemme de remonter, car le détour semble moins grand. Sauf que dans un futur très très proche j’allais avoir très très tort.

Un volcan n’est pas une montagne, c’est un tas de pierres. Une montagne, elle, pousse. Vers le haut. Un volcan, quand il n’est pas en éruption, dégringole. Vers le bas. Et tout ce qui court dessus avec.

Me voici dans une saloperie de pierrier géant, aussi stable qu’un jeu de billes dans un escalier. Les rochers ont l’air gros, ils le sont, mais n’ont pas la stabilité que devrait leur conférer leur taille. Mettez un pied sur une belle grosse roche, elle s’enfonce, chasse, pivote, emmène ses voisines avec elles, et vous dessus. Impossible de prendre pied sans provoquer une sourde, lente, mais inexorable coulée. La pierre seule est un roc : incompressible, elle ne fond pas, assise, rien ne la fait bouger, ni le vent ni la pluie, tout juste le gel peut la fendre. Mettez-la en nombre, la roche devient fluide : elle s’écoule, s’éboule, se transforme, entraînant ses congénères dans une marée descendante. La pierre est solide, le pierrier est liquide. C’est ce qu’on appelle en physique un « système auto-organisé ». Nom savant pour merdier : système qui porte en son sein une dynamique qui inévitablement se dirige vers un état de crise appelé état critique. Les avalanches, les tremblements de terre, même l’évolution du vivant pris dans son intégralité relèvent de ce système (évolution et extinction des espèces).

Je progresse en essayant de ne pas éteindre la mienne. Je fais un pas en avant, je recule de deux. Parfois, des pans entiers décrochent et glissent de plusieurs mètres, moi au milieu. Je ne suis pas fier car que ce sont pas des pierres ponces légères mais des résidus de lave lentement refroidie, donc dense et lourde, aux bords acérés : me faire coincer les doigts ou même une jambe entre deux blocs ne doit pas être la meilleure chose qui pourrait m’arriver…

Me voilà donc à progresser à quatre pattes, comme une araignée (ah non ça a huit pattes une araignée), comme une grenouille plutôt, tâchant de répartir mon poids sur plusieurs pierres à la fois. Autant dire que ça a été très long de remonter jusqu’à la crête. D’autant plus que les roches étaient pour la plupart en forme de parallélépipèdes parfaits. L’homme, pour faire des digues solides, ou des enrochements stables, choisit des blocs aux formes optimisées conférant à l’ensemble une stabilité parfaite : tétrapodes, dolos, accropodes, etc… Le cube a été utilisé aussi, oui, pour les pyramides, c’est vrai, mais alors il faut bien les sertir.

Le volcan, lui, balance des pavés bien lisses, les dispose au petit bonheur la chance, place-toi comme tu tombes, et vaille que vaille. Face contre face, les roches glissent les unes contre les autres.

Après avoir passé près d’une heure à jauger chaque roche, y prendre appui avec précaution, dévisser, remonter le courant à contresens, je rejoins enfin la crête. La vue est splendide sur le Lac du Soleil, c’est ma récompense : je saisis mon appareil photo… Mon appareil photo ? Ah ! Ma poche est vide !!! J’ai dû le perdre en escaladant la coulée à quatre pattes.

Première pensée : put…merde. Pardon.

Deuxième pensée : je vais devoir m’en acheter un autre, le même modèle, qui me convenait parfaitement (un Olympus antichocs, étanche 10m etc..).

Troisième pensée, dissociée de quelques secondes (et oui, la fraction de seconde au niveau de la mer s’allonge avec l’altitude, le cerveau se met en mode économie d’énergie) : est-ce la peine de continuer si je ne peux pas prendre d’autres photos ? Je n’ai que les quelques vues de la phase d’approche du volcan, autrement dit pas grand chose.

Ce qui engendre la quatrième pensée, décisive, le cerveau se réveille : ah ben non je n’ai même pas les photos du début, vu qu’elles sont dans l’appareil. Avec les photos des papillons de la veille du reste…

Là je n’ai même plus à réfléchir : pas question d’abandonner les photos, je redescends à la recherche de mon appareil. Redescente dans le pierrier instable, à choisir ses roches mais à reculons… Là c’est encore une autre histoire. J’essaie de retrouver par quel chemin je suis monté, mais une roche ressemblant à une autre, et l’ensemble ayant bougé, impossible de retracer ma trajectoire. Alors je descends au petit bonheur la chance, en zigzag, cherchant entre les pierres un éclat brillant. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. L’appareil a probablement glissé entre deux pierres et restera caché à ma vue… Personne ne le trouvera jamais, car personne ne passe jamais par là, et il gardera ses photos au coeur de sa carte mémoire, inaccessible à tout jamais, à moins qu’une prochaine éruption ne l’éjecte dans la plaine d’ici quelques milliers d’années…

Mais non, comme vous avez probablement déjà lu mon article sur le sanctuaire des papillons, vous savez déjà que je l’ai retrouvé en fin de compte. Aucun suspens. Il m’attendait, sagement posé sur une pierre plate, en bas du pierrier. Bien content d’avoir récupéré mes photos, je décide bien évidemment de continuer mon périple volcanique. Mais à l’idée de remonter tout là-haut parmi les pierres instables, je suis moins chaud. Je remarque qu’au-delà du champ de pierres s’étend une autre étendue, de scories cette fois.

Je pourrais tracer en diagonale jusqu’à ces pitons rocheux qui émergent de la pente, et faire une pause à leur pied… Au pire, même si la couche est instable, je préfère m’enfoncer et glisser dans une marée de scories plutôt que dans une avalanche de pierres…

L’idée n’était pas mauvaise, mais la progression s’avéra beaucoup plus lente que je ne l’avais imaginé : impossible de poser un pied sans glisser d’un mètre ou deux vers le fond du cratère. En plus je m’enfonce jusqu’au mollet. J’ai l’impression de patauger dans une mélasse de sable et de graviers qui rentrent dans mes chaussures, à lutter contre le courant qui me fait dériver vers le bas. Je marche, je marche, mais rien ne bouge, je suis toujours au même endroit… La dynamique du tas de sable… À mi-chemin entre le solide et le liquide… j’y ai pensé pendant ma progression ça m’a fait passer le temps. Quand je pense que des chercheurs se sont posés sur la question… La Théorie du tas de sable… j’y reviendrai plus loin.

Remonter directement ? Pas la peine d’y penser…

Tant pis je continue, péniblement… En fin de compte, à force de dériver et de remonter, c’est comme si j’avais gravi deux ou trois fois la distance me séparant du sommet, accumulant un dénivelé que mon GPS n’enregistrera même pas… Au bout d’un bon moment, j’arrive enfin au pied d’un piton. Havre de paix, il n’y a plus de courant, le sol est stable…

De là, je peux remonter plus facilement sur la crête, sur laquelle je prends bientôt pied.

Je peux enfin continuer mon tour du volcan, même si les signes rencontrés sont peu encourageants…

D’un côté comme de l’autre, extérieur ou intérieur du cratère, la pente est assez forte et le sol couvert de scories. Il est probable que la pente soit la même des deux côtés, et constante, ne différant que lorsque la nature du sol varie. Ce n’est pas moi qui le dit, je ne suis pas vulcanologue, c’est une propriété physique toute simple : faites un petit tas de sable en le laissant couler au sommet, et votre petite dune prendra une belle forme conique, dont la pente sera toujours la même : c’est ce que l’on appelle une surface d’égale pente. Un problème mathématique connu sous le nom d’équation eikonale, connue aussi en optique. Pour le sable fin, type dune, ce sera entre 30 et 35 degrés. Ici, avec les scories et autres roches on s’approche des 45 degrés. Petite pensée pour les chercheurs en laboratoire qui ont passé des jours et des jours à faire monter des tas de sable pour couvrir des tableaux d’équations mathématiques… En gros ils ont démontré que la dune est stable jusqu’à une certaine pente, puis au-delà on tombe dans le fameux état critique dont j’ai parlé plus haut, l’avalanche, dont j’étais le déclencheur.

Comme on n’est pas à l’école et que j’ai encore du chemin à faire, je continue sur ma crête. On est à 4600m de moyenne, je trottine quand je peux.

Derrière moi, les pitons sous lesquels je me suis abrité du courant de scories…

D’un petit sommet, sous les 4700m, la vue sur le Lago del Sol est splendide. Sur le rocher, des mousses jaunes ont trouvé le moyen de pousser là, à cette altitude.

Je poursuis ma progression, mais le sol devient plus chaotique, le ciel aussi. L’ambiance a subrepticement changé…

Plus loin, c’est pire. Quelques cairns sont dressés de ci de là, maigres tas de pierres disposés de temps en temps pour indiquer un semblant de chemin. Les randonneurs qui passent là sont censés rajouter une pierre à l’édifice. Mais vu leur aspect malingre, soit les promeneurs sont rares, soit le vent les renverse, soit c’est le volcan qui les jette à terre dans une secousse.

A intervalles réguliers, le semblant de sentier vient buter contre des murailles de pierre. Comme on ne peut pas passer par-dessus, il faut les contourner, d’un côté ou de l’autre. Comme j’ai bien compris la leçon de tout-à-l’heure, j’évite le versant intérieur et choisis à chaque fois le dos de la montagne plutôt que son ventre. Parfois, comme ici sur la gauche, il faut emprunter des petits raidillons d’une dizaine de mètres de hauteur, quasiment verticaux. Paradoxalement l’effort est moins pénible à l’escalade qu’à la course.

D’autres fois, on n’a pas le choix : le contournement est impossible à moins de vouloir être précipité au pied du volcan, alors il faut escalader. Et on se retrouve dans le chaos des crêtes déchiquetées du volcan, à 4600m. Qu’on ne s’y trompe pas : rien n’est stable. Je l’ai dit, ce n’est pas une montagne, c’est un tas.

Mais au moins, de là-haut, la vue est belle.

Je me retourne une dernière fois pour mesurer le chemin parcouru,

car je vais entrer dans un autre monde, avec une vue limitée à 100 mètres, dans un environnement beaucoup plus sombre. Pour ceux qui connaissent le Seigneur des Anneaux, eh bien voilà, je suis aux portes de Mordor

Je progresse avec circonspection : le moindre faux-pas et on se retrouve 50 étages plus bas, avec les scories et autres restes de randonneurs malchanceux.

L’atmosphère est lugubre. On n’entend que le bruit du vent, celui de ma respiration, et le crissement de mes chaussures qui ripent sur la pierre ponce. Je n’ai qu’une hâte, c’est de sortir de cet endroit infernal ! Je passe par le deuxième plus haut sommet de la Caldeira : el Pico del Aguila, le Pic de l’Aigle, 4640m.

J’entrevois la sortie de Mordor : la crête arrondie qui me permettra de boucler mon tour de cratère, et de redescendre à une altitude plus douce (4500m), et retrouver une ambiance plus sereine…

Heu… plus sereine ?

Enfin ça y est. Je quitte le pandémonium et pose le pied sur le sentier qui me sortira de là.

Après mon passage, le rideau de brume se referme sur les pics ténébreux, les soustrayant à ma vue, et à mon souvenir. Xinantécatl, le Seigneur Nu, offusqué se rhabille.

Je redescends rapidement le long du flanc du volcan, coupant en pleine pente pour rejoindre la piste en contrebas, ainsi que le soleil.

Voilà, le tour est bouclé. Je n’ai plus qu’à rejoindre la forêt, 1000 mètres plus bas, et à retrouver ma voiture, pour rallier Mexico, ses klaxons, ses embouteillages titanesques, sa pollution associée, et un bon jacuzzi !

Alors bien sûr, à faire le mariole sur le Nevado, j’ai moins fait le malin sur les 72km du Trail aux Étoiles le samedi suivant… Pas de regret, mais j’ai quand même eu les jambes qui tiraillaient un peu il faut dire…

Une petite vidéo qui retrace l’essentiel de mon petit périple… ambiance…

Et bien sûr l’album photo est disponible, photos grand format, sur la page expeditions.

20110225_Toluca

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • 13 mars 2011

    Tes expéditions sont toujours un vrai régal à lire: découverte d’un petit morceau de notre terre, suspens vu tous les risques que tu prends, et partage par tes photos. Mais……..calcule bien ta prise de risque!!!!!! entre une course sous les stalactites ou sur un tapis roulant de pierre, fais très attention à toi!!!!
    Et le mal des montagnes, vu l’altitude à laquelle tu es??????
    A vendredi sur Cendras, si bien sur tu es revenu de tes expéditions. Bonnes foulées d’ici là
    Mpie

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    • Jphi

      14 mars 2011

      Merci mpie, pour la prise de risque t’inquiète pas… Je calcule quand même un peu..
      Le mal des montagnes ça a été, pas de problème. Ce n’est pas non plus le K2 ! Mais c’est vrai que le mal des montagnes peut apparaître chez certaines personnes à partir de 2500m.
      A vendredi ! Je m’occuperai du ravito.

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  • lafan

    14 mars 2011

    ….et avec tout ça, as-tu pensé à ajouter ta petite pierre à l’édifice ?…
    super photos, surtout celles en couleur !!!
    pour le reste…tu crains !!
    …t’es-tu, au moins, fait plaisir ?!!

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    • Jphi

      14 mars 2011

      Ah ben non.. j’ai pas pensé.. enfin si mais franchement avec le manque d’oxygène, ramasser une pierre et la poser sur le cairn, c’était insurmontable… C’est peut-être pour ça que les cairns sont si rachitiques là-bas !
      Je comprends pas, toutes mes photos sont en couleur !
      Et même si c’était très difficile, le plaisir d’y être, et surtout de boucler mon objectif, est toujours immense : la preuve, à peine la sortie terminée, je pense à organiser la suivante !!!

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  • crifo

    19 janvier 2014

    Bonjour, superbe récit et très belles photos… Je viens d’y grimper hier mais n’ai pas pu faire le tour sans matériel…il y avait trop de neige. Te souviens tu de la distance et du temps mis pour ce trail? Merci

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