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Le Trail aux Étoiles. 65km. 2800m de D+. Ma troisième participation consécutive.
Alors bon, les photos, cette année encore, seront rares. Ben oui : c’est une course de nuit !

Pourtant, l’endroit a l’air formidable. Des vues splendides, à couper le souffle, entends-je ça et là… Le col des Mourèzes, par exemple. Ou le sommet de la Fageole : après l’avoir franchi, on zigzague le long d’une crête. A gauche, à droite, des lumières lointaines, signalant la présence de quelques villages sur les versants de montagnes nous faisant face. Le panorama doit être grandiose ! Mais voilà, tout se réduit à une petite soucoupe de lumière pâlotte, peinant à éclaircir le sentier devant moi… Dramatique réduction de champ visuel.
Pire encore : la terrible montée d’Arre. On quitte la chaleur et le confort du ravitaillement (et la bonne humeur de Paco qui se sera levé à 3h du mat pour venir nous soutenir), à 300m d’altitude, et on se hisse, avec déjà près de 50km dans les pattes, sur le Causse, à 800m. Effort difficile, le versant est escarpé. Le Causse se mérite. On mesure la pente aux frontales qui nous précèdent : on se tord le cou pour voir ce ballet sautillant de lucioles au-dessus de nos têtes et on se dit : «  Il faut que je grimpe tout ça ?  » Et en contrebas, le même ballet, mais derrière soi… Le sourire est plus facile : « Ah! Il faut encore qu’ils grimpent tout ça ! « 
On arrive sur le Causse. Il fait -8°, et la nuit est toujours aussi noire. Quand on grimpe sur le dos d’une montagne, il y a toujours une récompense : regarder en bas. C’est le plaisir, sinon où est-il ? Mais là, non. On arrive au sommet, mais on ne le voit pas. Pour connaître la vue de là-haut, de jour, qui est magnifique,
là dans la nuit on a envie d’éclairer… Mais non, on voit juste les lumières d’Arre et de Bez. Et les étoiles glacées au-dessus. Au moins on ne s’arrête pas… On continue la course, tête baissée, à fixer ce halo de frontale, toujours le même depuis maintenant 6 heures… Cette petite tache de lumière blafarde qui éclabousse les quelques pierres et racines devant nous… une lumière crue, sans ombre, car la frontale étant fixée comme son nom l’indique au front, l’ombre projetée de l’obstacle se cache derrière lui, ce qui lui ôte tout relief, toute information de hauteur : souvent le pied butte sur un bloc qu’on avait sous-estimé… J’ai même parfois pensé que la pierre, pour se venger d’avoir été réveillée, se dresse devant la chaussure…
D’autres fois, serpentant entre les troncs d’une forêt sur la pente d’un vallon, on entend le grondement d’une rivière, ou d’une cascade. On ne saura jamais ! Pour ceux qui aiment le trail pour les panoramas, pour ceux qui courent le long d’une crête en regardant à gauche, à droite, pour embrasser tout le paysage au risque de se fouler une cheville, ou qui prennent la peine de s’arrêter pour sourire devant le décor…
(Crédit photo pven.org, pendant les recos)

(Crédit photo pven.org, pendant les recos)
…pendant un trail nocturne ils auront ça :
Et le coureur passera sa nuit à regarder ses pieds, sans oublier régulièrement de redresser la tête pour jeter des coups de frontale au loin, histoire d’accrocher une des balises réfléchissantes, parsemées dans la nuit, qui lui donnera la direction à suivre… seul fil directeur qu’il ne faut pas lâcher car rien d’autre, à part leur absence, ne l’alertera. Car pour beaucoup d’entre nous, vu la distance parcourue et le nombre de coureurs, nous ferons la course tout seul… Un changement de direction est vite manqué, il faut rester concentré et on ne cesse de guetter la prochaine balise. Et celles-ci étant parfois un peu trop espacées, voire manquantes, ou tout simplement cachées ou retournées par le vent, on se prend à douter… Suis-je sur le bon chemin ? Je fais demi-tour ou quoi ? Et on tourne la tête en tout sens, balayant la montagne à la recherche d’un petit éclair de lumière salvateur… Hormis deux ou trois loupés vite récupérés, le balisage était dans l’ensemble efficace. Plusieurs se sont perdus toutefois et ont du faire demi-tour, perdant un temps, précieux, et une motivation, qui l’est encore plus.
On traverse plusieurs villages endormis mais éclairés, nous ramenant quelques appréciables instants à la civilisation. Je me surprends à courir d’un pas léger sur le gravillon, pour ne pas réveiller les habitants…
Sur le Causse, le soleil se lève. Enfin.
(Crédit photo pven.org, pendant les recos)

Il fait du bien. On y voit, pour de bon ! Mais ce n’est pas un cadeau. Dans cet endroit, on préférerait la nuit noire : aussi loin que le regard porte, il n’y a rien. C’est un plateau, les collines peinent à s’en extirper, les arbres sont courts, émoussés par le vent, l’herbe est rase, et la piste devant soi est tracée tout droit dans la plaine, sans obstacle, infinie, terrible pour le moral. On aimerait ne pas le voir, ce chemin qui n’en finit pas…
(Crédit photo pven.org, pendant les recos)

La température est à son minimum, l’herbe crisse. La boue a figé les empreintes des troupeaux. Ma gourde, malgré qu’elle soit sans cesse secouée, est remplie de glaçons. L’embout est bouché par la glace, pendant 30km je ne pourrai boire une goutte. Même mes tubes de gel sont tellement pâteux qu’ils sont inutilisables. De toutes façons j’ai l’estomac dans les chaussettes, je ne peux rien avaler. J’admire au passage les bénévoles, transis de froid près d’un feu de camp, debout toute la nuit, et toujours le sourire aux lèvres… Au 55ème kilomètre ma vitesse de croisière s’effondre, comme prévu. La dernière descente, je la fais en marchant. Heureusement, Françoise arrive, elle m’a rattrapé, comme il se doit quand on dépasse les 50 bornes !  Elle saura me relancer, et on finit ensemble, en 8h35, 18ème au scratch… Et 1ère féminine pour elle, avec quasiment une heure d’avance sur la 2ème !!! Une vraie championne d’ultra cette Françoise Barrière !

Bon, en me relisant j’ai l’impression d’en avoir bavé. C’est bien vrai, mais cela n’occulte pas le plaisir de courir la nuit, sur une grande course comme celle-là, remarquablement bien organisée. A faire, et à refaire. Surtout pour la soupe à l’oignon à l’arrivée…

 

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • lafan

    8 mars 2010

    à défaut de photos (!) on aura eu droit a un beau récit…. merci jphi. bravo courageux guerrier!

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  • Jphi

    8 mars 2010

    "Courageux guerrier"… Ben voilà ! c'est tout trouvé !

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  • Gwen

    8 mars 2010

    Wahouuuuu! C'est avec beaucoup d'émotion que j'ai pu revivre cette course à travers ton récit rempli de poésie… hummm…

    Je pense revenir régulièrement sur ton site qui me laisse rêveur.
    RQDB

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  • Jphi

    9 mars 2010

    C'est avec grand plaisir Gwen que je t'accueillerai sur ce blog ! Reviens quand tu veux, et bravo pour ta superbe perf !

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  • Mpie

    10 mars 2010

    avec ton oeil de photographe et ta facilité à manier la plume, n'as tu jamais pensé à te faire éditer???? Moment d'évasion en te lisant….

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  • Jphi

    10 mars 2010

    Merci Mpie ! Je suis bien content que tu passes de bons moments ici.

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  • Françoise

    19 mars 2010

    Merci pour ce joli compliment dans ton récit ! Immense joie de terminer avec toi ! Etait ce une répétition pour la 6666 ?

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