大嶼山
Lantau Island. Anciennement Tai Han Shan, « l’île de la grande montagne ». La plus grande des îles de Hong Kong. Située à l’embouchure de la Rivière des Perles, elle était autrefois une paisible île de pêcheurs.
Je débarque sur la rive sud à Mui Wo, où s’était réfugié l’un des derniers empereurs de la dynastie Song lors de l’invasion mongole au XIIIè siècle. Le village est aussi connu pour ses mines d’argent.
Le sentier part immédiatement à l’assaut de la pente de la montagne Lin Fa Shan.
Il est bien balisé, la coupe est franche, le sol battu par des milliers de sandales puis de chaussures de marche chinoises…
Au fur et à mesure que l’on s’élève, la côte disparaît dans la brume de chaleur, et les sommets se distinguent : Yi Tung Shan, où l’on passera bientôt, apparaissent pelés.
Nous sommes vers 600m d’altitude à peine, mais la forêt a déjà disparu. Je croise quelques promeneurs mais ils seront de plus en plus rares tandis que je m’enfonce au coeur de l’île.
Me voici entre les deux sommets de Sunset Peak, vaste plateau aride.
La ligne de crête est parsemée d’anciennes huttes de pierre, lointain vestige d’un royaume montagneux disparu ? Non, ce sont des retraites de villégiature bâtis entre les deux dernières guerres par des missionnaires…
Sunset Peak (Tai Tung Shan) est le deuxième plus haut sommet de l’île, culminant à 870m. De là-haut, on distingue la difficulté suivante du parcours, le toit de Lantau Island : Lantau Peak (Fung Wong Shan).
La montagne paraît gigantesque, insurmontable. Elle se dresse de toute sa taille. Elle n’est pas très haute, pourtant, 934m, mais la vallée qui sépare les deux sommets est profonde, et il faudra remonter tout ce que je vais descendre… Elle est impressionnante, plus par son allure que par sa hauteur. Elle se dresse, comme pour défier quiconque de la franchir. Comme la gardienne d’une cité cachée. À bien y regarder, dissimulée dans une vallée secrète, on distingue une silhouette mystérieuse, un buddha… le royaume de Shambala ?
J’entame la redescente sur d’anciennes marches de pierres et retrouve la couverture de la forêt.
Puis la pente s’inverse. Tout ce qui monte doit redescendre, certes. Mais tout ce qui descend doit remonter aussi. La vitesse de descente n’était déjà pas très élevée car les marches étaient très irrégulières et traîtresses, mais lors de l’ascension la cadence tombe encore plus bas : la pente est sévère.
L’ascension se fait en trois étapes : un mur, un plateau, un mur, un plateau, etc… Chaque rupture de pente est mise à profit pour récupérer et évacuer l’acide lactique… et profiter de la vue exceptionnelle.
A chaque col le sommet de Lantau Peak se rapproche un peu plus, mais paraît toujours aussi difficile d’accès.
Plus on monte plus l’impression d’entrer dans un lieu interdit se fait forte. Sommes-nous pour de bon à Shambala ?
Souvent je me retourne, pour apprécier le chemin parcouru…
…avec en arrière-plan, le mont précédemment franchi, Sunset Peak.
Devant moi (au-dessus de moi !) le sommet de la montagne.
Enfin j’arrive en haut… Derrière moi (au-dessous…) le sentier ponctué de mes gouttes de transpiration…
Je passe la cime, trottinant sur le dos de la montagne. Derrière, le sentier redescend. Mes cuisses sont encore tendues de l’effort fourni. Ce sommet se mérite. Comme un sésame pour la suite.
Le chemin s’attarde sur une crête, et tombe dans le vide derrière elle. La cité cachée de Shambala, enfin ?
Je bascule à mon tour derrière la crête….
La cité perdue est là, juste devant moi !
Je descends les vieilles marches usées quatre à quatre pour m’y rendre. Mais j’interromps ma course car je suis arrivé dans un lieu étrange. Silence, plénitude. Une forêt d’un autre genre, dont les troncs ont été taillés et gravés de signes initiatiques.
C’est le Chemin de la Sagesse. Les piliers de bois sont disposés en forme de 8, et les inscriptions gravées reproduisent le texte du Sūtra du Coeur, un des plus importants textes bouddhiques mahāyāna, fréquemment récité par les moines.
[floatquote]Sūtra du Cœur de la Perfection de Connaissance Transcendante : gate gate pāragate pārasaṃgate bodhi svāhā[/floatquote]Sharipoutra, ainsi tous les phénomènes sont-ils vacuité ; ils sont sans caractéristique ; ils ne naissent ni ne cessent ; ne sont ni souillés ni non souillés ; ni déficients; ni parfaits.En conséquence, Sharipoutra, dans la vacuité il n’y a ni forme, ni sensation, ni identification, ni facteurs composés, ni conscience ; ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental ; ni forme, ni son, ni odeur, ni saveur, ni objet du toucher, ni phénomène mental. De l’élément de l’œil et ainsi de suite, jusqu’à l’élément de la conscience du mental, il n’y a pas d’élément. Il n’y a ni ignorance ni élimination de l’ignorance et ainsi de suite, jusqu’il n’y a ni vieillissement et mort, ni élimination du vieillissement et de la mort. Et à l’avenant, il n’y a ni souffrance, ni origine de la souffrance, ni cessation, ni voie ; il n’y a ni sagesse transcendante, ni obtention, ni non-obtention.
Sharipoutra, ainsi, puisqu’il n’y a pas d’obtention, les bodhisattvas se fondent-ils sur la perfection de la sagesse et ils demeurent en elle, l’esprit sans voile et sans peur. Et comme ils sont passés bien au-delà de toute erreur, ils parviennent au stade final du Nirvāna. C’est en s’appuyant sur la perfection de la sagesse que tous les bouddhas des trois temps eux aussi font naître pleinement l’insurpassable éveil parfaitement accompli.
Après avoir dûment médité sur comment atteindre le
Nirvāna, c’est-à-dire en me reposant enfin, assis sur une pierre, je reprends mon chemin, croisant quelques autochtones.
Je me suis parfois retrouvé face à face avec des animaux, comme des
ours, ou attaqué par des
singes, mais je n’avais encore jamais croisé les pas d’un
buffle de Lantau.
Je sors de la forêt, passant quelques monastères, et parviens au pied du Buddha géant.
Tia Tan Buddha mesure 34 m de hauteur, c’est l’un des plus grands Buddhas de bronze.
L’endroit n’a rien d’une cité perdue, c’est même l’un des endroits les plus « peuplés » de l’île puisque nombre de Hong Kongais viennent le visiter… Jusqu’en 2006 il fallait monter à pied de Tung Chung, mais depuis, un téléphérique de 6km de long permet d’abreuver le site en milliers de touristes ramollis…
Je ne m’attarde pas dans cet endroit bondé qui n’a finalement rien de Shambala… Malheureusement des glissements de terrain on emporté les sentiers sur lesquels je voulais passer alors j’ai dû changer mes projets. Je file vers Tei Tong Tsai, monastère blotti à flanc de montagne, sous Lantau Peak.
On n’a pas le droit de rentrer. Des pancartes enjoignent au silence, car l’heure est à la méditation.
Un moine bouddhiste, qui ne doit pas avoir 20 ans, récolte les légumes pour le souper. Ils vivent en autonomie.
Au-dessus du monastère, le soleil bascule derrière Lantau Peak. Il est temps de remonter sur le col car je suis toujours au coeur de l’île et même si j’ai ma frontale avec moi je préfère rentrer avant la nuit !
Je me hâte le long du flanc de Nei Lak Shan, un sommet qui domine le nord de l’île, et que je connais bien puisqu’il me nargue à chaque fois que je me pose en avion sur l’aéroport de Hong Kong…
Il est caressé des derniers rayons de soleil.
Au loin, la montagne de Sunset Peak, gravie dans la matinée, qui porte alors bien son nom.
Je dévale les marches à tombeau ouvert. J’entame une course contre le soleil. Premier arrivé en bas.
Je passe sous la ligne de téléphérique, avec une vue sur le côté moderne de l’île, l’aéroport.
Mais renonçant à descendre sous les câbles où pendent ces cabines bringuebalantes de touristes hilares et babillants, les charriant directement jusqu’au métro, je préfère suivre la ligne de crête, encore sauvage.
Le soleil caresse d’une dernière lumière les herbes dansantes de la montagne, puis disparaît dans la mer de Chine. Preums.
Je finirai dans la nuit, traversant un vieux village de pêcheurs, San Tau, relié à la civilisation par un petit chemin serpentant le long de la baie.
Je n’aurai pas trouvé Shambala, pas encore cette fois.
Mais je la trouverai !
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fredericbaylot
merci pour ce partage de ce beau cheminement
belle description quasiment onirique
de ce cheminement
aller au delà
aller, aller, aller au-delà, au-delà du par delà, que l'éveil soit réalisé!
Gate, gate, pâragate, pârasamgate, bodhi, svâhâ!
chaleureusement
frédéric
jphi
Merci Frédéric ! Ravi de partager ces moments et ces images…
A l'heure où tu as posté ton message un petit problème technique avait tronqué la moitié de l'article, reviens quand tu veux lire la fin !
A bientôt !
Jacky
Belle ballade et belles images. Mais pour Shambhala, il faudrait aller un peu plus haut au nord… et prévoir des vêtements chauds, et à défaut tu pourrais toujours découvrir Shangri-La
jphi
Ah Jacky ça m'intéresse si tu sais où se trouve Shambala (ou Shambhala) car selon je ne sais plus quel Dalai Lama c'est un pays qui n'est sur aucune carte et seuls y sont admis ceux qui ont un karma suffisant… (mais pour les vêtements chauds, je suis d'accord vu que ce serait un royaume mythique de l'Himalaya)
Quant à Shangri-La je la cherche aussi, mais je ne l'ai trouvée que dans le roman de James Hilton… Enfin la ville existe bien, dans le nord du Yunnan on y propose même des excursions… mais je doute que ce soit elle…
Lafan
Shambala ou la promesse de quoi ?!
…et si shambala c’était chez toi ?!!!
Belle balade spirituelle… Mais bon, moi, ma photo préférée, c’est celle de l’aéroport !!!! Je dois pas être des vôtres !!!!
Jacky
Pas de polémiquez JPhi, mais effectivement j’aurais plutôt cherché Shangri-La dans cette partie du monde (un grand hôtel à Singapour a même pris ce nom)car Shambhala est un concept Tibétain et oser imaginer que cet endroit pourrait se trouver en Chine ne doit pas forcément les ravir. Cela ne doit pas nous éloigner néanmoins de ce beau périple que tu as fait et du plaisir que nous avons à le découvrir nous aussi à travers tes « reportages ».
mpie
Shambala: « Quelque chose est caché. Va et trouve-le. Va et regarde derrière les montagnes.
Une chose perdue au-delà des montagnes, une chose perdue et qui
t’attend. Va ! »»
Rudyard Kipling
Pleins de chemins perdus dans l’horizon infini.Chouette…..
runtheplanet
Aaah.. Je vois que Shambala ne laisse pas indifférent!!! Il faudrait que j’aille faire un tour au Tibet ! (Enfin pour faire semblant de le chercher car comme dit Lafan, peut-être que chacun a son Shambala chez soi…)
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