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Rendez-vous à 1h du matin sur les hauteurs de Santiago du Chili pour récupérer le dossard et le paquetage. Avec le décalage horaire ça fait 6h du mat pour moi, c’est moins difficile ! Quant au sac fourni par l’organisation, ils ne font pas les choses à moitié : un t-shirt zippé, un buff, un bandeau en goretex, un brassard réfléchissant, une paire de chaussettes, une lampe frontale, et même une couverture ! C’est Noël ! C’est bon je peux rentrer chez moi maintenant… Ah non, il manque la médaille de finisher, mais c’est à la fin, ça…
Petit briefing à 1h30. En espagnol. Si tu parles pas la langue, pas de briefing. Un peu léger pour une course internationale, encore qu’on ne doit pas être nombreux extranjeros. Surtout qu’il y avait quand même des informations importantes sur les difficultés du terrain, la neige, mais aussi les Points de Contrôle où il faut poinçonner son « passeport », sorte de carte plastifiée, sous réserve de disqualification…

Je vérifie mon matériel, avec quelques nouveautés : le sac olmo avec les bidons à l’avant, et surtout les bâtons ! Je n’ai jamais couru avec, mais là je les prends pour soulager mon entorse qui, elle, est toujours là et n’est plus une nouveauté : bien emballée dans son strapping, je l’emmène en balade. Ce sera mon souci principal qui, comme vous le verrez plus loin deviendra secondaire… Mon sac fera sensation là-bas car visiblement peu de coureurs connaissent ce système. Un cameraman viendra me faire une petite interview, mais bon je pense qu’ils vont faire quelques coupes, avec mon espagnol…
Et à 2h le départ est donné. Pour 80km, 4000m de dénivelé, 14h30 annoncés. Ca part assez vite, surtout pour un 80K ! Bon je pars tranquille, j’ai le sentiment d’être en queue de peloton. Au bout de 500m les choses sérieuses commencent, on attaque directement la montée.
Il fait un peu froid, mais on reste en température positive. En prévision de l’altitude je me suis couvert avec 2 couches comme pour l’hiver, et un bonnet. J’ai un peu chaud pour le moment.
On monte, on monte, il fait nuit noire, un long ballet de frontales s’étire dans la montagne au-dessus de moi. J’ai parfois l’impression qu’ils sont à des kilomètres mais les distances, la nuit, c’est trompeur…
Mes bâtons sont accrochés à l’arrière du sac, car je ne compte pas les utiliser avant la deuxième ascension, à partir du 22è kilomètre. Mais, c’était couru d’avance, n’ayant pas la technique pour les accrocher, une branche basse et bing, ils se détachent du sac… Bon, je vais être quitte pour les utiliser de suite…
Parfois, quelques rencontres plein de piquant au détour d’un tournant : toujours rester vigilant !!!
L’herbe est blanchie par le gel. Ca y est, on a pris un peu d’altitude quand même. C’est marrant j’ai toujours chaud. Pourtant même mon bonnet est couvert de givre :
Tant pis je garde mes deux couches, on montera quand même à 2600m. Pour l’heure on s’arrêtera à 1900m avant de redescendre en direction du départ pour une première boucle de 22km. Là, dans une petite côte, je me ferai rattraper par une horde de frontales apparemment surpris de me trouver devant eux vu leur vitesse : « ochenta ? ochenta ?« , ce sont les premiers coureurs du 50km partis à 5h du matin qui s’inquiétaient de savoir si j’étais un coureur du 80… Nous continuons donc ensemble sur une partie commune de près de 40km. Un peu dommage d’ailleurs car notre allure n’est pas la même et je me range souvent sur le côté pour les laisser passer.
Je commence à fatiguer. Déjà ? Au bout de 30 bornes… Je sens que je vais payer mon manque d’entraînement ce dernier mois à cause de mes blessures…
Puis soudain un gars me passe devant. Je vois sa tignasse blonde de surfeur : il n’y a pas beaucoup de chiliens avec une chevelure pareille ! C’est Fred, de CrewAdventure, avec qui je skie, qui court le 50K pour la première fois !
On continuera ensemble une bonne quinzaine de bornes. J’ai le sentiment de le ralentir, car je commence à gérer, et puis on ne court pas la même épreuve. Mais non, il reste, tranquillou, et on passe un bon moment ensemble. Mais je me sens vidé! Pourtant je m’alimente mais quelque chose cloche… Je me dis que jamais je ne pourrai faire les 80 si ça continue…
Puis le jour pointe son nez, dévoilant la cordillère :

On arrive au ravito ensemble avec Fredo, j’en profite pour refaire les niveaux des bidons, manger salé, sucré, souffler un peu pour reprendre du jus. On repart. Mais tout ce qu’on a réussi à faire c’est se refroidir. Il doit faire -2 ou -3°. J’enlève mes gants trempés. On se remet à courir dans cette ascension interminable de 30km. Fred a un rythme plus rapide, je n’arrive pas à le suivre, et je ne le reverrai plus. Je suis épuisé, impossible de me refaire ! Qu’est-ce qu’il se passe? J’ai l’impression d’être au plus mal, pourtant je suis bien alimenté… L’altitude ? 1800m c’est quand même pas de la haute montagne ! Non, je n’ai pas de jambes, je me sens mal. J’admire la cordillère pour me remonter le moral. Comme si quelqu’un l’avait shooté, le soleil jaillit d’un coup.
Là je me mets à dégouliner, je suis de plus en plus mal, je n’arrive pas à monter. J’enlève mon bonnet, je garde le reste en prévision des 2600m. Avec le recul, je me dis que j’ai totalement manqué de lucidité depuis la fin de la première boucle de 22km. On en est à 45km et je n’ai toujours pas percuté !!! Le fait de croiser des plaques de neige un peu partout est peut-être la cause de cette peur d’avoir froid.
Au bout d’un moment, il n’y a plus personne devant, plus personne derrière. Une drôle de réalité s’impose à mon esprit : je suis le dernier. Je m’assois sur une pierre. Je suis un peu dégoûté. Je respire, je regarde les montagnes. C’est beau ! Quelques condors tournoient tout là-haut, dans un courant thermique. Le soleil chauffe. Allez, c’est décidé, je me change : short, t-shirt, casquette. Et je repars. Et là, en quelques minutes à peine, c’est la transformation. Mes forces reviennent, je me sens bien plus léger… Je trottine, je respire ! Comment avais-je pu m’aveugler à ce point ? Depuis le début j’étais bien trop couvert, je crevais de chaud. Même Fred m’avait dit qu’il ne s’habillait pas trop sinon il perdait de ses capacités avec la chaleur, et ça ne m’avait même pas fait tilt ! Manque de lucidité total…
Bref, je repars d’un bon rythme, et finis par rattraper quelques coureurs, pour arriver au ravito des 50km, à 2400m d’altitude.
Il y a des coureurs du 50, tout n’est pas perdu, je ne suis peut-être pas le dernier ! Les bénévoles sont hyper sympas, les ravitos bien fournis. Des tonneaux entiers de Gatorade sont à disposition. Je m’y essaye : du Gatorade dans un bidon, de l’eau dans l’autre. Génial! Je discute un peu avec les bénévoles, je prends quelques photos, bref je commence à prendre du plaisir. A tout hasard je leur demande si je suis le dernier des 80K. Il rigole : « no, treinta.. ! « . J’ai eu envie de rajouter « …gringo! « 
Trentième, ça change tout, ça ! Comme par enchantement les forces me reviennent. Je regarde au-dessus de moi le col à franchir.
Allez. Plus que 200m de dénivelé, et on sera au point haut du parcours, à 2600. Derrière, 30km de descente avec quelques bosses. J’empoigne mes bâtons et j’y vais. C’est beaucoup plus facile, c’est drôle, comme quoi le côté psychologique est primordial…
Arrivé en haut, quelques photos, quelques instants à profiter du paysage. Après tout c’était l’objectif numéro un…

Puis c’est la descente. D’habitude j’aurais envoyé, mais là, entre la gadoue défoncée par les passages des animaux et des coureurs précédents, les caillasses et autres, je suis descendu prudemment pour ne pas me refaire une entorse. Et là encore j’ai béni mes bâtons. Quelle invention ce truc ! C’est génial, aussi bien en montée qu’en descente, pour sauvegarder les chevilles, les muscles des cuisses, garder son équilibre, etc… Je me demande comment j’ai pu courir sans ! J’ai pas mal doublé dans les descentes très pentues et techniques grâce à eux : ils permettent de faire des sauts ou de dévaler comme à ski. Conquis ! Ils m’ont sauvé la cheville plus d’une fois…
Le paysage change doucement, on quitte les sommets dénudés pour une face plus vallonnée et verdoyante.

Au km 65, arrêt médical obligatoire pour un check-up. Tension, pouls, saturation d’oxygène, questionnaire, etc… On peut se poser la question d’un tel contrôle 15km avant l’arrivée, mais bon je ne suis pas spécialiste…
Et on repart pour un petit coup de cul de 400m… en plein cagnard… d’où peut-être l’utilité du check-up! Là on a l’impression que c’est la côte de trop. Il y a au moins du 25% de pente. Un truc de moto-cross. On se dit qu’ils ont dû bien se marrer les organisateurs, du genre faire une course où il n’y aurait pas de classement mais que des survivants…
Arrivé en haut je suis pétri de crampes. Il y a toute une plaine à traverser. Mes cuisses étaient déjà extrêmement douloureuses depuis le 25è km, mais là… je ne peux plus courir. Un chilien me double à fond avec une aisance peu croyable : « Vamos, vamos, amigo ! « , tandis que je suis appuyé sur mes deux bâtons pour m’étirer les ischios complètement bloqués. Ouais, facile à dire… Je marche, je m’alimente, je bois de l’eau salée. Je me mets à trottiner doucement et les crampes s’envolent. J’avais lu qu’une des façons de faire disparaître les crampes était de transformer l’acide lactique en carburant musculaire… en courant en endurance… Ca marche !
Je repars et reprends le coureur un kilomètre plus loin, abattu par une crise d’hypoglycémie. Je n’ai pu m’empêcher un « vamos, vamos  » en passant…
Je me suis senti mieux à chaque kilomètre me rapprochant de l’arrivée. J’ai repris un coureur de plus qui finissait en marchant, et ai enfin franchi la ligne au sprint (12km/h !!! Tout est relatif !!!) au terme de 12h57 de course.
L’organisation annonçait 14h30, je m’étais fixé 12h sans trop y croire. Je finis 23è au général, sur 65 partants, dont 25% d’abandons.
Plein de coureurs viendront me demander où j’ai trouvé mes manchons de compression. Apparemment ça ne se trouve pas au Chili. Je devrais peut-être ouvrir un magasin ?
Bon, après l’effort, le réconfort… Où est la bouffe? Le repas d’après-course (pâtes à la bolognaise, mmmh…) c’était à midi, pour les 10K, 20K, 50K et les premiers du 80K. Là il est 15h, et c’est fini. Bof…
Bon c’est pas grave. Il y a un régiment de masseuses. Je crois que je vais en prendre 2 ou 3.
Voilà qui clôturera cette belle journée, un peu interminable quand même. Mais que de souvenirs ! En faisant le compte de mes photos, je me rends compte qu’elles sont peu nombreuses. Il faut dire qu’avec mon passage à vide puis les douleurs musculaires, c’était à chaque fois une épreuve que de s’arrêter, poser les bâtons, sortir l’appareil, le ranger, ramasser les bâtons… J’espère que vous ne m’en voudrez pas !
Une petite vidéo quand même :
D’autres photos sont sur www.runtheplanet.fr
Ah et pour ceux qui se demandaient : et Fred ? Il va bien, merci, il a fini son premier 50K en 8h. Joli !

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