La fin de l’année 2010 a été plutôt moyenne au niveau sportif : l’accumulation malchanceuse de divers maux, comme des trachéites, infections pulmonaires déclenchant (c’est nouveau ça vient de sortir) de l’asthme à l’effort, le tout débouchant sur une grosse grippe débordant sur 2011 et achevant de me casser les pattes, m’a forcé à une coupure totale de plus d’un mois. Le bout du tunnel est là, je reprends l’entraînement, dans un endroit qui m’est particulièrement cher : la Sierra Nevada. Premiers pas hier en raquettes dans la forêt de séquoias géants, et résurrection totale aujourd’hui, au Yosemite…
La vallée de Yosemite a été façonnée par de multiples glaciers qui ont érodé, taillé, poli les massifs de granite jusqu’à leur donner ces fameuses silhouettes.
Le soleil se lève sur le Half-Dome. La neige tombée en quantité astronomique pendant les fêtes est toujours là, il me tarde d’aller y tracer quelques sillons…
Juste au-dessus de moi, Yosemite Falls, une cascade qui tombe de 740m de hauteur, 6ème plus hautes chutes d’eau d’Amérique du Nord. Normalement elle est très impressionnante au printemps, à la fonte des neiges. Mais là, début janvier, elle n’a rien à envier au mois d’avril : il est tombé énormément de neige et le soleil s’en donne à coeur joie pour transformer cette profusion de poudreuse en flots tumultueux.
Je choisis en premier objectif de monter tout là-haut : 2000m d’altitude, en partant d’environ 1000m.
Je mets en route mon MP3, et dévisse mes bâtons.
[audio:http://www.runtheplanet.fr/wp-content/uploads/2011/01/The-Answer.mp3|titles=The Answer]
La pente est plutôt féroce : les plaques de subduction qui ont soulevé la Sierra Nevada ont redressé des failles granitiques quasiment à la verticale !
La vue sur le Half-Dome se dégage tandis qu’on monte, et je commence à distinguer mon objectif éclairé par le soleil.
Un drôle de bruit résonne contre la roche. Je m’approche de la chute, certes, mais le fracas est tout de même étonnant. L’eau se précipite dans le vide et s’écrase en contrebas, mais la quantité d’eau n’explique pas le tumulte.
C’est qu’il n’y a pas que de l’eau : des paquets de neige, de glace, mélangés aux bouillons basculent ensemble dans le vide, des tonnes de matières mi-liquide mi-solide viennent se pulvériser au pied des chutes.
Je continue mon ascension.
J’aperçois plus nettement le haut des chutes,
mais je ne suis pas arrivé pour autant. Me voici en train de longer une falaise impressionnante de hauteur. Près de 500m me séparent de son sommet.
En m’approchant de la paroi je me rends vite compte qu’il y a un petit souci. J’ai quitté la neige pour un sol constitué d’un amoncellement de glaçons. J’ai l’impression de marcher dans un seau à glace, sauf que les morceaux sont bien plus conséquents, et il y en a une épaisseur non négligeable : je m’enfonce jusqu’aux mollets.
L’explication ne tarde pas à s’imposer d’abord à mes oreilles puis quelques fractions de secondes plus tard à mon esprit… En effet, un fracas me fait lever la tête puis avaler ma salive : des pans entiers de glace se détachent du sommet 500m plus haut, dans une courbe molle, virevoltant dans les airs comme s’ils ne pesaient rien. La vitesse de la chute est indépendante du poids. Vague souvenir de cours de physique. Comme quoi je pense à n’importe quoi tandis que des séracs fondent sur moi…
Heureusement les paquets viennent s’écraser sur la paroi, se fragmentent, rebondissent, reviennent se frotter au granite et finissent par se morceler en petits morceaux moins redoutables. Je me hâte néanmoins de monter, pataugeant dans mon seau de glace, pour m’éloigner de la paroi.
Plus haut je prends le temps de me retourner et d’admirer la vue… Le Half Dome, toujours, et la Sierra derrière. Au fond, les paysages connus que j’ai parcouru en juin et en septembre dernier… Le terrain doit être impraticable autrement qu’en raquettes ou en ski tellement il y a de la neige…
Je poursuis mon ascension. Les arbres autour de moi se dessinent parfaitement sur le ciel, comme si leurs silhouettes étaient découpées au cutter et recollées avec Photoshop… Drôle d’impression…
J’arrive bientôt au sommet de la falaise. La neige est très profonde, je suis un sillon creusé il y a quelques jours par des randonneurs, et à moitié comblé par de récentes chutes de neige.
J’aperçois le bord de la falaise. Le vide n’est pas loin, on entend à la fois le souffle de l’air et le grondement de la chute d’eau mi-liquide mi-solide non loin.
Je m’approche doucement du bord car une pente douce couverte de neige aurait vite fait de me précipiter à mon tour, mi-liquide mi-solide, 700m plus bas.
Je redescends par le même chemin, en coupant dans les virages (j’aurais dû emporter mes skis !), repassant près de la même paroi maintenant chauffée par le soleil, et donc me précipitant dessus deux fois plus de séracs,
puis je rejoins la sécurité relative de la forêt. Là, je fais une rencontre impromptue avec un corbeau gigantesque qui, peu farouche, me passe sous le nez.
Retour au camp de base, ravitaillement, départ pour un deuxième objectif : Nevada Falls.
Nevada Falls est une autre chute d’eau de Yosemite. Elle est beaucoup moins haute (moins de 200m de chute) mais son volume est énorme, et il faut tout de même monter plus de 600m de dénivelé pour y accéder.
Je me hâte car le soleil descend rapidement derrière les montagnes et je n’ai pas pris soin d’emporter ma frontale avec moi.
D’ailleurs la vallée est quasiment tout le temps plongée dans l’ombre car la glace recouvre le lit sans jamais fondre.
Soudain, devant moi, les silhouettes caractéristiques de Grizzly Peak, du mont Broderick et de Liberty Cap. On pourra comparer avec la vue en été prise lors de mon périple sur le John Muir Trail.
Sur le flanc de Liberty Cap, on distingue Nevada Falls.
L’eau épouse la forme bombée de la roche, prenant une teinte blanche comme neige caractéristique (d’où le nom de Nevada qui veut dire neige).
Je poursuis un bon moment mon ascension pour m’en approcher mais le sentier étant fermé pour l’hiver la neige est très profonde et la progression très difficile. J’ai de la neige jusqu’à la taille ! Comme le soleil descend étrangement vite, je fais demi-tour et rejoins le sentier. Pour varier (je n’aime pas faire demi-tour, on le sait) j’ai la merveilleuse idée de descendre par le Mist Trail. Ce sentier descend dans la vallée, passant par une autre chute d’eau, Vernal Falls, et porte bien son nom (Mist Trail : Sentier des Brumes). En effet les deux cascades, Vernal et Nevada, pulvérisent dans toute la vallée un fin brouillard qui vous détrempe en quelques minutes. L’été, c’est très agréable. Ci-dessous une photo prise en juillet dernier.
Sauf que l’hiver, l’idée est toute autre…
Mes neurones, trop content de me voir courir de nouveau, ne connectent pas l’information recueillie plus tôt, à savoir celle où j’avais observé une belle couche de glace recouvrant le lit de la Merced River. Grossière erreur. Je descends, descends, descends, et prends même des photos des glaçons de plus en plus présents le long du chemin, sans que la petite alarme clignotante au fin fond de mon esprit réussisse à écarter les bouffées d’euphorie qui envahissaient ma conscience toute entière.
J’arrive près de la rivière et de Vernal Falls, au bord d’Emerald Pool, qui en été est d’une belle couleur émeraude, mais en janvier encombrée carrément d’un gros iceberg !
Là, je me penche sur Vernal Falls. Oups.
Mon ivresse s’évanouit d’un coup. La vallée est prise dans une gangue de glace. Chaque roche, chaque marche, chaque centimètre carré de cette fichue vallée est couvert, non de givre ou de verglas, mais d’une couche de plus de 15cm de glace, accumulation de plusieurs mois d’embruns venus se solidifier instantanément en une coque bien solide, bien transparente, bien glissante, du plus bel effet…
Je pouvais même distinguer, en contrebas, le passage sécurisé (pour l’été!) par lequel j’allais devoir passer… en plein hiver…
En effet, il était hors de question de remonter les 600m de dénivelé pour passer de l’autre côté, car la nuit allait me rattraper en cours de route.
Autre petit problème : j’allais devoir descendre le long de la paroi, bien sûr couverte de cette magnifique glace bleutée, mais aussi garnie des plus gros spécimens de stalactites que j’avais jamais vus ! Et bien sûr, comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo, les dits stalactites se détachaient à intervalle régulier et venaient s’écraser… juste sur le passage.
Je reste un petit quart d’heure à évaluer la situation ; les stalactites tombent toutes les 2 à 3 minutes, sur une distance d’environ 50 mètres, recouverte de glace en pente directe vers la rivière. En d’autres termes, faut pas traîner, mais pas se précipiter non plus. J’ajuste mes Yaktrax, et me lance sur la glace.
Évidemment, les Yaktrax sur une glace aussi compacte, ça ne remplace pas des lames en alu, et au bout de 10 mètres je dérape et m’étale au fond d’une ravine… heureusement emplie de tous les fragments de stalactites amoncelés là après leur chute, ce qui fait que je m’enfonce et évite de glisser jusqu’au bas de la pente. Je me remets rapidement sur pieds et termine la traversée en m’aidant de mes bâtons comme une éclopé sur des échasses traversant la patinoire municipale…
Je suis trempé par les embruns, mais en un seul morceau. Je n’ai même pas pensé à filmer tellement j’étais préoccupé par la situation. En fait si, j’y ai pensé, mais filmer une grosse gamelle se terminant dans la baille ne m’enchantait guère. J’ai ma fierté.
Couvert du poudrin de Vernal Falls, ne tenant pas à me transformer à mon tour en statue de glace bleutée, je fiche le camp…
Belle sortie pour une reprise ! C’est reparti !
Et comme vous m’avez lu jusqu’au bout, en guise de récompense voici une petite vidéo :
Et bien sûr d’autres photos en grand format…
Jacky
Je vois que tu as eu beau temps. C’est magnifique un paysage hivernal sous le soleil !
Et bravo pour ce nouveau site très sympa.
runtheplanet
Merci pour le nouveau site ! Heureusement j’ai eu du soleil mais ce n’était pas gagné vu le temps neigeux de la veille…
lafan
vraiment somptueux jphi…
ton récit est prenant comme un bon
roman et la vidéo est simplement géniale…
merci pour ces beaux paysages..
merci de nous emmener avec toi…
…pas mal l’esprit « jeu vidéo » de la traversée des stalactites!!
bravo pour cette belle reprise.
j’adore la neige !! yaouh !
runtheplanet
« bon roman », « jeu vidéo », je suis dans le multimédia !
Merci Lafan pour tes commentaires toujours enthousiastes !
phil
Bravo Jphi , pour une « petite » reprise c’est quand même une superbe sortie avec de magnifiques images et de grosses émotions !!!
Moi qui aime la neige j’imagine bien le plaisir d’un tel parcours !!!!
Bon calme un peu l’entrainement on ne peut déjà plus te suivre ……
runtheplanet
C’est clair que c’était superbe, comme à chaque fois dans la Sierra Nevada… Faut que j’y retourne avant la fin de l’hiver! Quant à la reprise de l’entraînement, ça fait du bien de recommencer!!! La petite sortie d’hier avec vous et le Cévennes Trail Club c’était bien cool! C’est reparti!
Tat
Merci pour tes magnifiques photos . Je t’admire de faire de tels exploits qui forcent l’ admiration devant la beauté des sites et la poésie du texte à laquelle je suis tellement sensible . J’avoue que te savoir tout seul dans ces immensités gelées me fait un peu flipper même si je sais que tu t’éclates!
runtheplanet
T’inquiète pas… « tout seul dans ces immensités gelées » c’est un peu exagéré, et puis je m’y sens bien moi !
mpie
Aventure au combien magique avec un brin d’adrénaline… Prise de risque calculé! Vidéo vertigineuse et récit palpitant! Que ta reprise continue sur ce rythme…
runtheplanet
Merci mpie! Risque calculé, oui oui… Si j’avais calculé plus tôt, je ne l’aurais tout de même pas pris…
Bienvenue sur ce nouveau blog, toi qui écrivais souvent sur l’ancien, faudra que tu me dises ce que tu en penses.
Allez à bientôt sur une course, peut-être ce we sur le Coutach..
flo
J’adore ton site! Rhooo, Yosemite, ça donne vraiment envie d’avoir été avec toi, un parachute collé dans le dos…
macfly
Comment ne pas rêver d’y être ( quoique sur certaines corniches enneigées….j’aurai peut être trop réfléchi :))
merci pour les images la vidéo les commentaires et la musique aussi superbe
Jphi
Les corniches enneigées encore ce n’était rien, le grand moment de flippe a été la descente du Mist Trail couvert de glace, en fin d’article. Là je pense que le risque était très présent, et je peux te dire que je ne renouvèlerai pas l’expérience sans crampons !!!
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