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Le John Muir Trail est un sentier long de 340km dans la Sierra Nevada, qui court de la Vallée de Yosemite jusqu’au mont Whitney, et traverse plusieurs parcs nationaux.
Yosemite est une merveille. C’est une vallée longue de 13km, parcourue par la rivière Merced, flanquée de falaises vertigineusement verticales, hautes de plus de 1000m!
Des cascades s’élancent de leurs sommets. Leur chute dure si longtemps que c’est à peine si elles ne s’évaporent pas avant d’arriver en bas…
Il est 4h du matin. Derniers préparatifs pour une course de 90km qui doit m’emmener d’ici ce soir à Devils Postpile, près de Mammoth Lakes.
Le sentier monte directement, pas le temps de s’échauffer. Nous sommes déjà à 1200m d’altitude, mais on doit se hisser sur le plateau, pour s’extirper de la vallée préservée de Yosemite, entre les montagnes de granite. Je double beaucoup de randonneurs, la plupart lourdement équipés, partant pour plusieurs jours voire semaines de randonnée.

Le jour se lève pendant l’ascension, éclairant légèrement les falaises qui m’entourent.

Bientôt on distingue le Liberty Cap haut de 2100m, dominé par le fameux Half Dome
Un grondement se répercute entre les falaises : aux pieds du Liberty Cap, la cascade de Nevada Falls se jette dans 200m de vide.
Le sentier se hisse en surplomb de la cascade, la vue est superbe mais je ne m’attarde pas car des trombes d’eau s’écoulent de la falaise que je longe et je suis vite trempé.
Le volume d’eau qui se jette est impressionnant !
Au-dessus de moi, le Half Dome est déjà éclairé par les premiers rayons de soleil.
Il s’agit de la face sud, déjà impressionnante, mais de l’autre côté le dôme est comme coupé en deux, sa falaise verticale descend d’une traite de 1500m dans la vallée.
Partout, du granite. Les forêts poussent quand même dessus ! A 2000m d’altitude…
D’ailleurs des arbres, il y en a partout. Je suis souvent en forêt profonde, et je ne peux pas faire beaucoup de photos. L’endroit est moins minéral que le High Sierra Trail.
Parfois, heureusement, sur un sommet, je peux m’élever un peu et avoir une vue plus large.
…avant de replonger dans la forêt peuplée de milliers de moustiques voraces…
Au fond de la Vallée Perdue, une tortue de pierre se glisse entre les arbres.
Tandis qu’au loin on distingue encore les silhouettes granitiques de Yosemite.
Petite pause déjeuner,
et le sentier repart en direction de Sunrise Mountain.
C’est là qu’apparaissent les premières plaques de neige. Je suis assez surpris en fait, car malgré le fait que l’on soit maintenant à 2400m d’altitude, il fait plus de 20°C et nous sommes fin juin. L’année dernière, sur le High Sierra Trail j’avais dû faire demi-tour à cause de névés dangereux, et on était début mai. Raison pour laquelle j’ai cette année choisi la fin juin pour y retourner (juillet et août sont trop touristiques à mon goût)…
Je continue de monter, et les plaques de neige deviennent plus épaisses et nombreuses.
Sur les versants ensoleillés, la neige fond « comme neige au soleil », et le sentier se transforme en ruisseau, les clairières en marécages.
Je passe High Sierra Camp tandis qu’au loin, Echo Peaks domine la plaine de Long Meadow.
Le marécage est gigantesque. Je dois en faire tout le tour car des panneaux mettent en garde de s’y aventurer, non contre un danger, mais pour sauvegarder quelque espèce de plantes. Je patauge tout du long, alternant entre une neige très lourde et un sol spongieux, avec parfois de l’eau jusqu’aux genoux. Au-dessus de moi, le Columbia Finger pointe vers le ciel comme une épine de pierre.
La progression est lente, car je m’enfonce à chaque pas. Je mets quasiment deux heures pour rallier le Columbia Finger.
Au passage du col, je surprends une marmotte qui n’a pas dû voir encore beaucoup de randonneurs en ce début de saison. Peu farouche, elle me surveille de derrière son rocher…
Entre les arbres, la fameuse silhouette de Cathedral Peak, qui surveille la passe du même nom.

Le problème, c’est que pour l’atteindre, il faut franchir la passe puis contourner Cathedral Lakes. Or la passe, à 3000m d’altitude, est couverte de neige, et la descente vers le lac aussi. Le sentier est totalement invisible. Je chercherai des traces pendant deux heures dans les bois. Les seules empreintes que j’ai trouvées sont celles d’une biche et d’un gros puma. J’erre à flan de montagne, crapahutant dans un mètre de neige, régulièrement aspiré par les entonnoirs de neige formés par les sapins, m’en extirpant avec force difficultés et jurons multiples… Tant pis, j’abandonne l’idée de retrouver le sentier et descends au fond de la vallée, tout droit vers le lac.

Dans la vallée, la neige est assez épaisse, lourde mais croutée en surface, et comme elle ne fond pas uniformément, et regèle la nuit, elle forme une couche très accidentée, vallonnée, ce qui rend la progression lente et exténuante : je dois sans arrêt enjamber des bosses, je glisse dans des mini-cuvettes, quand je ne passe pas à travers jusqu’à mi-cuisse, voire dans un ruisseau caché dessous… Vraiment pas une partie de plaisir…
Au bout de plusieurs heures j’aperçois de l’autre côté de la vallée un groupe de randonneurs. Le sentier doit être là-bas ! Bien loin de ma trace GPS… Je choisis de tracer tout droit à travers le marécage et patauge encore une bonne heure pour retrouver les traces des promeneurs… qui finalement, à suivre leur trajectoire erratique, s’avéreront aussi perdus que moi !
J’aurai laissé beaucoup d’énergie dans cette Cathedral Pass. J’en ressors très amoindri. Il ne doit pas être loin de midi, 21H en France, et je ressens un gros coup de fatigue. Je dois en être à 30km à peine, et quand je pense qu’il m’en reste 60 je commence à me dire que je n’arriverai pas avant minuit à ce rythme!
Mais j’entame la redescente vers la vallée de Tuolumne Meadows et retrouve des altitudes plus confortables (2600m). La neige est moins présente. Mais la fange, si…
Enfin je rallie la Tuolumne River… alimentée par toute cette neige dégoulinant des montagnes alentour.
Ouf. Le paysage est plus de saison. De grandes clairières se succèdent dans une forêt alpine. On y croise beaucoup d’écureuils, par centaines. Pas farouches, ils vous regardent en coin : ils doivent deviner mon sachet de fruits secs et je me demande même s’ils ne seraient pas assez entreprenants pour venir me le piquer !
Je croise aussi d’autres animaux, comme des cerfs et des biches, pas farouches non plus.
Je progresse encore lentement, pas tout à fait remis de ma galère dans la neige, le long de la rivière, passant sous le Lembert Dome,
puis je m’engage dans le Lyell Canyon, plein sud, direction la Donohue Pass, à 3400m d’altitude. Le sentier chemine doucement dans la forêt, je reprends doucement des forces mais il commence à faire chaud.
Au fond de la vallée, j’aperçois la passe. Blanche de neige.
Il est 14H. J’y serai avant la nuit, c’est sûr, même en me traînant à cette allure d’escargot. Mais un autre doute m’assaille soudain : quand la nuit sera tombée, il me restera environ 20km à faire. J’ai toujours le souvenir désagréable de Cathedral Pass à l’esprit : que faire si le sentier est couvert de neige à la nuit tombée ? Vu comme je me suis perdu en plein jour, j’imagine avec inquiétude ce qu’il pourrait advenir à chercher une improbable trace à la lumière de ma frontale, de la neige jusqu’aux genoux…
Je m’assieds au bord de la rivière pour réfléchir, la carte sur mes genoux. Que faire ? Tuolumne Meadows, quelques kilomètres en arrière, est le seul accès à la route. Après, il y a 40 à 50km de wilderness, nature 100% sauvage, sans voie d’accès.
Moment de faiblesse ?
Moment de sagesse ?
Je choisis de renoncer.
Cela fait deux fois que je fais demi-tour avant l’objectif en Sierra Nevada. Coup d’épée pour ma fierté, mais en même temps je me dis que ça ne rime pas à grand chose de viser des distances de 80 à 100km dans ces conditions : on progresse lentement car l’itinéraire n’est pas balisé, et on transporte du matériel de détresse (médical, balise, GPS, ravitaillement). Ce qui fait qu’inévitablement on court la nuit, et donc on ne profite pas du paysage : par exemple je n’ai pas pu admirer le lever de soleil sur Yosemite (les photos ont été prises la veille au soir). J’aurais aussi raté les merveilleux paysages de lacs de montagnes dans la dernière partie de mon itinéraire.
En remontant le long de la rivière vers la route de Tuolumne Meadows, j’ai réalisé que je devais réduire mes objectifs : mieux vaut viser 50 à 60km et en profiter, de jour, plutôt que s’échiner à courir dans un paysage de rêve en en ratant la moitié faute de lumière !
C’est décidé ! Je reviendrai, plus souvent, faire le John Muir Trail par petits bouts…

Au fait, John Muir c’est qui ? Un des premiers naturalistes, qui au siècle dernier a fortement contribué à la préservation de Yosemite et autres parcs naturels, un des inspirateurs du mouvement environnemental d’aujourd’hui…

Je rentre vers Los Angeles. Bruine, grisaille et pollution…
Mais ça c’est une autre histoire…
L’album photo sur runtheplanet

Never Hesitate - Never Regret

Comments:

  • macfly

    9 avril 2012

    comme d’hab super…les moustiques voraces l’été j’ai connu ça aussi mais en Norvège….je vois aussi que même en été il faut être sur ses gardes..vivement les autres bout du John Muir Trail

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  • Jphi

    9 avril 2012

    Tu as plein d’autres petits bouts dans tous ces articles :
    http://www.runtheplanet.fr/tag/sierra-nevada

    (enfin certains ne sont pas du JMT mais ne sont pas loin)
    mes préférés : mammoth, Cathedral, Rae Lakes, et

    surtout à lire : Une nuit dans la Cabane de JM suivi de Evolution !!

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    18 avril 2022

    gn5vd23j

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